La Vierge du chancelier Rolin est un chef-d’œuvre, paraît-il méconnu, du peintre hollandais Jan van Eyck (vers 1390?-1441), datant des années 1430. C’est le seul van Eyck présent dans les collections publiques françaises. Conservé au Louvre depuis 1805, il vient de faire, pour la première fois, l’objet d’une restauration qui lui a rendu l’éclat de ses couleurs et une lumière depuis longtemps oubliée.

J’avais effectué une photo de ce tableau en mai 2021, sans doute peu de temps avant son départ en atelier. Je vous propose une comparaison avant-après : la rénovation effectuée a permis d’alléger les couches de vernis oxydé qui assombrissaient la peinture et offre une redécouverte spectaculaire du tableau. La prédominante jaune de l’avant n’est en rien exagérée sur ma photo.

Pour fêter dignement son retour sur les cimaises, une exposition est organisée dans la salle de la Chapelle au premier niveau de la Tour de l’Horloge (aile Sully). Quand on pénètre dans la salle, on découvre le tableau posé sur un coffre et non pas accroché au mur. On peut donc en faire le tour.

exposition Revoir Van Eyck – Jan Van Eyck (Maaseik, vers 1390 ? – Bruges, 1441) – La Vierge du chancelier Rolin – Vers 1430 ? – Peinture sur bois (chêne) 

La Vierge du chancelier Rolin a été décrite pour la première fois en 1705 à Notre-Dame-du-Châtel à Autun en Bourgogne (église détruite à la Révolution), église collégiale et lieu de sépulture de Nicolas Rolin (vers 1376-1462). Nicolas Rolin, chancelier du duc de Bourgogne, est en prière devant Jésus qui le bénit ; celui-ci est assis sur le genou de la Vierge Marie, qu’un ange s’apprête à couronner. Le lieu semble situé dans une tour : il s’ouvre sur un jardin, au-delà duquel s’étend un paysage, image idéale du duché de Bourgogne. Deux petits personnages nous invitent à nous y pencher, comme le fait l’un d’eux.

Jan van Eyck est le plus grand peintre du 15e siècle au nord des Alpes, l’un des génies de notre histoire. Il a fasciné ses contemporains pour sa virtuosité extraordinaire dans le rendu réaliste des effets de la lumière sur les visages, mais aussi les étoffes ou les bijoux. C’est aussi un prodigieux miniaturiste ; peu à peu, on repère une multitude de détails dont le sens reste souvent volontairement ambigu.

Lorsque Nicolas Rolin commande le tableau au peintre, il est alors le tout-puissant chancelier du duc de Bourgogne Philippe le Bon (1396-1467), et administre son vaste duché, étendu alors de Dijon aux Pays-Bas actuels. Jan van Eyck est quant à lui établi à Bruges, cœur de la Flandre, où il peint pour une élite cosmopolite. Son talent hors du commun est déjà largement reconnu et célébré : il n’est pas étonnant que le chancelier se soit adressé à lui. Le résultat de leur dialogue est cet objet peint, qui est à vrai dire étrange et complexe.

Au premier abord du tableau, s’imposent l’impressionnant portrait de Nicolas Rolin, la splendeur de la Vierge couronnée par un ange, le regard pénétrant de l’Enfant.

exposition Revoir Van Eyck – Jan Van Eyck (Maaseik, vers 1390 ? – Bruges, 1441) – La Vierge du chancelier Rolin – Vers 1430 ? – Peinture sur bois (chêne) 

Mais en s’approchant de plus près, commence alors un voyage dans un cosmos miniature, le long de sentiers peuplés de minuscules personnages.

Le lieu semble situé dans une tour: il s’ouvre sur un jardin, au-delà duquel s’étend un paysage, image idéale du duché de Bourgogne. Deux petits personnages nous invitent à nous y pencher, comme le fait l’un d’eux

On est immédiatement absorbé, presque hypnotisé, par le paysage : une grande ville s’y déploie au milieu d’une campagne prospère. Il ne s’agit pas d’une vue réelle mais d’une vision idéalisée du monde de Van Eyck, déployée presque comme une carte topographique : elle est bien adaptée à Rolin, propice à nourrir la méditation spirituelle d’un gouvernant à propos des effets de ses actes.

Entre le premier et le second plan de la Vierge du chancelier Rolin se trouve une transition singulière : le jardin suspendu. Inspiré d’un jardin de son temps, il évoque des thèmes de prière courants à la fin du Moyen Age. C’est le « jardin clos » de la Vierge Marie, image de sa pureté. Les oiseaux, les paons et les lapins sous la colonne appartiennent au répertoire des marges des manuscrits; souvent chargés de connotations morales, ils sont propices à guider une prière. Sur le chemin de ronde, deux petits personnages de dos nous invitent à plonger dans le paysage : l’homme au turban rouge est-il Jan van Eyck lui-même qui se fait notre guide ?

Enfin, si l’on fait le tour de l’œuvre, on se rend compte que le revers est peint d’un trompe-l’œil de marbre feint. La restauration de ce revers constitue une redécouverte : il s’agit d’une extraordinaire peinture abstraite de Van Eyck. Si elle rappelle un marbre jaune-vert, elle n’imite aucun minéral réel. Elle permet d’affirmer que l’œuvre était faite pour être vue sur toutes ses faces. Après avoir accompagné Rolin sa vie durant, l’œuvre aurait pu être destinée à être placée à côté de son tombeau, dans sa dernière demeure, à Autun en Bourgogne.

Exposition Revoir Van Eyck – La Vierge du chancelier Rolin – Revers de la Vierge du chancelier Rolin – Trompe-l’oeil de marbre feint

L’exposition ne se contente pas de nous présenter le chef-d’œuvre sous toutes ses faces. Une soixantaine de panneaux peints, manuscrits, dessins, bas-reliefs sculptés et objets orfévrés sont exceptionnellement réunis, grâce au soutien de nombreux musées et institutions en France et à l’étranger.

Six œuvres de van Eyck sont exposées ici, ce qui n’avait jamais été réalisé jusqu’à présent. Outre La Vierge du chancelier Rolin, on peut admirer L’Annonciation peinte vers 1435.

Jan van Eyck – L’Annonciation – vers 1435 ? – bois transposé sur toile – Washington, National Gallery of Art

Dans la Vierge de Lucques, prêtée pour la première fois ici, Van Eyck nous implique directement face à la Vierge, absorbés dans sa contemplation, nous devenons pour ainsi dire Rolin.

Jan van Eyck – La Vierge et l’Enfant, dite Vierge de Lucques – vers 1437 – Chêne – La composition est conçue pour donner au spectateur l’impression d’être agenouillé au pied du trône. Il est invité à contempler cette scène d’intimité: une mère allaitant son nourrisson – Städel Museum de Francfort

On peut également admirer Saint François recevant les stigmates peint vers 1430-1440.

Jan van Eyck et atelier – Saint François recevant les stigmates – vers 1430-1440 – parchemin collé sur panneau de chêne – Philadelphia Museum of Art

Un Portrait de Baudoin de Bailly et une enluminure du Livre des Heures de Turin – Milan complètent cette liste, mais il vous faudra aller sur place pour les voir, je n’en ai pas les photos.

Par contre, je peux vous montrer de tout aussi beaux tableaux peints par des grands artistes contemporains de van Eyck comme Rogier van der Weyden, Robert Campin, Hieronymus Bosch, Petrus Christus et des grands enlumineurs de l’époque.

Le parcours thématique aborde successivement plusieurs aspects servant à expliquer autant que faire se peut la symbolique du tableau de van Eyck : la rencontre entre un homme ou une femme en prière et la Vierge, la précision et la sensibilité des portraits, la représentation des paysages et des jardins, l’architecture décrivant un décor imaginaire entre terrestre et divin. À chaque étape de cette exploration, l’exposition noue des dialogues entre les œuvres de Van Eyck et celles des artistes de son temps. L’ensemble est magnifique et passionnant.

L’exposition est en place jusqu’au 17 juin 2024. Nous avons eu la chance de la parcourir dans de très bonnes conditions, presque dès l’ouverture du musée vers 9 heures, avec peu de monde. Quand nous sommes sortis, une bonne heure plus tard, la salle de la Chapelle était bien remplie et une file d’attente patientait devant l’entrée.

Pour en savoir plus, télécharger le dossier de presse de l’exposition.


1 commentaire

Matatoune · 26 avril 2024 à 8 h 33 min

Merci pour ce magnifique retour !

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