Tous les chemins mènent à Rome, dit-on, mais peut-être ne saviez-vous pas qu’on dessinait des cartes pour le prouver, depuis l’antiquité.

Je voudrais vous présenter aujourd’hui un des objets cartographiques les plus étonnants qui existent à mon avis, il s’agit de la Table de Peutinger (que l’on prononce en allemand : [Pɔɪ̯tɪŋɐ]).

C’est sans doute la première carte routière de l’histoire, elle représente donc tous les chemins qui mènent à Rome aux premiers siècles de notre ère, depuis les confins de l’Empire romain, la Gaule et l’île de Bretagne, jusqu’en Inde en passant par la Mésopotamie ou l’Afrique du Nord.

Ce qui en fait une carte étonnante également, c’est que la représentation géographique des territoires y est abandonnée au profit d’une schématisation du réseau routier à l’image d’un plan de transports en commun. C’est donc une aide destinée principalement à la recherche des itinéraires entre deux villes, d’autant plus que sont données les indications de distance entre deux points du réseau.

L’extrait ci-dessus représente l’extrémité occidentale de l’Empire. Vous aurez reconnu, sur la gauche, en haut la Gaule et un bout de l’île de Bretagne séparés par la Manche, en bas l’Afrique du Nord séparée du continent européen par la Méditerranée. Sur la droite, la ville en forme de demi-cercle est Fos-sur-Mer près de l’embouchure du Rhône, entre Arles (Arelato) et Marseille (Masilia). Ne cherchez pas Paris au centre, la ville pas encore capitale est un simple nœud nommé Lutesi.

Le but d’un tel schéma routier est de donner des indications sur l’importance des lieux que l’on doit traverser et de montrer rapidement les itinéraires qui les relient et qui permettent de franchir les rivières.

Pratiquement, la Table de Peutinger est un ensemble de parchemins de 6,80 mètres de long sur 0,34 mètre de hauteur, ça se roule sans problème dans un sac à dos. Je ne résiste pas au plaisir de vous la montrer en entier, je l’ai fait pivoter, elle commence à l’ouest de l’Europe, vous trouverez Rome au passage (l’image en exergue de l’article figure la région de Rome), elle finit en Asie lointaine. Avec un peu d’attention, au milieu du document, on remarque l’Italie entre Mer Adriatique et Mer Tyrrhénienne, avec le schéma de la botte et la Sicile. Puis, la Grèce et la Turquie …

Si vous cliquez sur l’image, elle s’ouvrira à l’horizontale dans un nouvel onglet et en cliquant une seconde fois, elle s’agrandira et vous pourrez admirer les détails.

Table de Peutinger – exemplaire Gallica

L’exemplaire que je vous présente est un de ceux de la BnF, disponible sur Gallica, qui présente l’intérêt d’avoir été annoté dans sa partie inférieure avec des noms de lieux écrits plus lisiblement.

Ce que l’on appelle l’original de la Table de Peutinger est en réalité une copie du 13e siècle d’un document datant sans doute des derniers siècles de l’Empire romain mais qui n’existe plus. Cette copie médiévale tomba, au début du 16e, entre les mains de l’humaniste allemand Konrad Peutinger qui mourut avant de pouvoir la faire imprimer. Sa famille en fit cependant une copie avant que cet « original » soit à nouveau perdu pour un siècle.

Bref ! le document « original » du 13e siècle est aujourd’hui possédé par la bibliothèque nationale autrichienne et quelques copies plus ou moins annotées au cours des années suivantes sont disponibles à droite et à gauche. La BnF en possède plusieurs et même l’IGN dispose d’une copie en noir et blanc (mais aucune information sur le portail de l’institut).

À signaler que le premier segment de la carte « originale » a disparu, celui qui schématisait l’île de Bretagne, l’Espagne et le Portugal, les Colonnes d’Hercule et l’Afrique du Nord. Une reconstitution en a été proposée à la fin du 19e à partir d’autres sources romaines.

Table de Peutinger – reconstitution du premier segment

L’exploration de ce document historique est très intéressante mais assez déroutante étant donné le parti pris de la représentation. Un site, Omni Viae : Itinerarium Romanum (Tous les chemins : Itinéraire romain) a géolocalisé presque tous les lieux cités dans la carte et propose une recherche d’itinéraire tout à fait moderne. Il vous suggère notamment de trouver le chemin entre Rome et un irréductible petit village gaulois qui, comme chacun le sait, se situait en lointaine Armorique.

Recherche d’itinerarium avec Omni Viae

Wikipedia propose également une version de la table de Peutinger, complétée avec le premier segment reconstitué.

Tabula Peutingeriana, 1-4th century CE. Facsimile edition by Konrad Miller, 1887/1888

Bonne route et bonne recherche d’itinerarium romanum.


2 commentaires

Danièle Cazaux · 5 avril 2020 à 11 h 40 min

Bonjour,
Je vous remercie de ce partage, j’y suis restée un long moment avec une loupe, extraordinaire de voir qu’à des époques lointaines, certains esprits curieux et ingénieux ont pu créer de tels documents.
Amicalement.

    micmac · 5 avril 2020 à 12 h 03 min

    Nous avons un peu trop tendance à croire que nous avons tout inventé, alors que nous sommes de simples héritiers des esprits éclairés des siècles et millénaires passés. La cartographie est un exemple frappant et passionnant de cette longue histoire des connaissances.

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