Après cent seize jours d’interruption, nos activités muséales ont pu reprendre, avec de nouvelles pratiques peut-être amenées à perdurer. Réservation d’un créneau horaire, billetterie en ligne, masque obligatoire, gel hydromachin, bref ! nous voici rendus au musée d’Orsay, réouvert depuis 3 jours, pour l’exposition consacrée à James Tissot, l’ambigu moderne.

James Tissot photographié par Robert Jefferson Bingham (1824-1870) – © Gallica

Anglophile convaincu, James Tissot (1836 – 1902) a très tôt abandonné ses prénoms Jacques Joseph pour adopter un James sans doute plus porteur d’exotisme. D’une famille d’origine franc-comtoise émigrée à Nantes pour faire fortune dans le commerce du textile, il choisit la voie artistique en s’installant à Paris pour suivre les cours de l’école des Beaux-Arts.

Talentueux et bien intégré à la bonne société de l’époque, il acquiert bien vite une solide réputation et expose au Salon dès 1859. Les véritables modèles de Tissot ne sont pas français, même si ses maîtres, Hippolyte Flandrin et Louis Lamothe, sont eux-mêmes élèves du grand Ingres. Il se passionne pour les « primitifs » italiens du Quatrocento, les maîtres allemands de la Renaissance et, parmi ses contemporains, le Belge Henri Leys et les préraphaélites anglais.

Bien que vilipendé parfois par la critique pour le manque d’originalité de ses compositions inspirées par l’histoire, l’art de Tissot séduit de riches clients, aristocrates dandys ou grands bourgeois qui lui commandent des portraits ou collectionnent ses scènes de genre. Ces peintures, diffusées par la photographie, vendues par d’importants marchands à Paris et à Londres, exportées aux États-Unis, font de Tissot l’un des artistes les plus en vue de son temps et bientôt un homme riche.

Comme ses contemporains, James Tissot explore aussi le « japonisme », qu’il est le premier à prendre pour sujet en peinture en 1864 avec son ami James Abbott McNeill Whistler. La Japonaise au bain, conservé au musée des beaux-arts de Dijon, l’un des rares nus de l’artiste, en est un bon exemple, qui inclut divers objets et costumes japonais.

exposition James Tissot – Japonaise au bain – 1804 – Représentant une femme qui n’est en rien japonaise, parée d’un grand kimono, ce tableau, un des rares nus de Tissot, traduit la version fantasmée du Japon qu’un peintre peut avoir, à Paris, au début des années 1860, en fréquentant les marchands de « japonaiseries ».

Dans le portrait de l’artiste peint par Degas à cette époque, on remarque un tableau japonais accroché sur le mur.

exposition James Tissot – Edgar Degas – Portrait de James Tissot

Puis son « japonisme » évolue : au lieu d’imaginer des scènes de genre d’un pays où il ne s’est jamais rendu, il préfère peindre de jeunes élégantes visitant ses collections d’art japonais. Version 19e des estampes japonaises, sans doute !

exposition James Tissot – Jeunes femmes regardant des objets japonais – 1869

Le 30 septembre 1870, alors que Paris est assiégé par les troupes prussiennes, Tissot est intégré au corps des volontaires de la Défense nationale, dans le bataillon des tirailleurs de la Seine. Enrôlé volontaire comme d’autres artistes — Edgar Degas, Édouard Manet, Henri Regnault, Joseph Cuvelier, Frédéric Bazile, etc. —, le peintre est un patriote engagé. Il s’illustre lors des combats de la Malmaison et note dans ses carnets leur violence, dont il restera profondément marqué.

En revanche, il est difficile de savoir s’il a pris part à la Commune, car il n’est pas engagé politiquement comme Gustave Courbet. Reste que Tissot quitte précipitamment la capitale après la Semaine sanglante. À Londres où il arrive à l’été 1871 et où il retrouve des amis de Paris, il ne tarde pas à relancer sa carrière. Ses caricatures dans le magazine Vanity Fair auquel il a déjà collaboré sont appréciées.

exposition James Tissot – Caricatures pour Vanity Fair : Abdul Aziz, sultan de Turquie – Alexandre II empereur de Russie – Napoléon III empereur des Français – Charles Darwin

Tissot a été exposé à trois reprises par des galeries londoniennes dans les années 1860 et il intègre facilement la meilleure société victorienne qui lui commande quelques portraits. Mais, restant malgré cela un Français exilé à Londres, il conserve un regard distant, teinte d’ironie, sur les mœurs corsetées de l’ère victorienne : des tableaux tels que Too Early ou London Visitors traduisent sa vision française face aux conventions sociales anglaises.

Tissot se passionne également pour les bords de la Tamise et pour les stations balnéaires : il trouve dans la vie des docks et de la côte un mélange d’industrie et de loisirs, de trivial et de beau qui inspire ses compositions. La presse et les critiques sont séduits par cet étranger qui sait si bien traduire la réalité.

En 1875, James rencontre une Irlandaise divorcée, Kathleen Kelly, épouse Newton, qui devient sa compagne et lui sert fréquemment de modèle : il la peint en particulier dans le jardin de son élégante maison ou dans le salon japonais qu’il a fait aménager avec soin. Elle vivra à ses côtés jusqu’à sa mort due à la tuberculose le 9 novembre 1882 : très affaiblie par la maladie, elle se suicide.

Tissot se lance dans la seconde moitié des années 1870 dans la réalisation de tableaux de grand format dont l’ambition est de dépasser le statut de la simple scène de genre pour atteindre à une forme d’idéal. October n’est pas seulement un portrait de Kathleen, mais surtout une célébration des beautés conjointes de la femme moderne et de la nature. Le projet est innovant, le costume contemporain n’étant autorisé, à cette échelle, que pour des scènes historiques ou le portrait d’apparat. L’artiste ne recule cependant pas devant les détails triviaux, tel le regard maquillé et aguicheur de Kathleen, associé à la cheville érotiquement dévoilée. Qualifiée par la presse anglaise de «sirène en bas de soie noire et talons hauts», Kathleen incarne la jeunesse et la vie au milieu de ce flamboyant paysage d’automne, et nous fait signe de la suivre.

exposition James Tissot – October – 1877

Une semaine après la disparition de sa compagne, James Tissot quitte l’Angleterre où il ne reviendra plus et s’installe à Paris où, Dieu merci ! son hôtel particulier de l’avenue Foch (qui ne s’appelle pas encore comme ça !) l’a attendu sagement pendant 10 ans. 

En France, il renoue avec la notoriété. Il expose à plusieurs reprises et réalise une série de Quinze tableaux sur la femme à Paris qui présente des portraits de femmes de conditions sociales plus variées que les bourgeoises qu’il avait côtoyées à Londres.

Il va également reprendre une série de compositions consacrée à la parabole du Fils prodigue. Il avait déjà abordé ce thème de manière historique (voir plus haut « Départ ») en 1863, il y revient 20 ans plus tard, mais dans une contextualisation contemporaine.

Attiré par l’occultisme, il croit être entré en contact avec Kathleen lors d’une séance organisée par un célèbre spirite de l’époque et il reproduit cette apparition dans un tableau L’Apparition médiumnique.

exposition James Tissot – L’Apparition médiumnique – 1885

Puis, en 1888, alors qu’il s’imprègne de l’ambiance à l’église Saint-Sulpice à Paris, il a une révélation religieuse qui va le conduire à consacrer la fin de sa vie (une petite quinzaine d’années) à illustrer l’Ancien et le Nouveau Testaments. Le travail qu’il accomplit est remarquable, il réalise des centaines de gouaches dont l’inspiration, originale, renouvelle totalement le style habituel de ce genre d’ouvrages et veut « rétablir la vérité biblique ».

Sa Vie de notre Seigneur Jésus Christ est publiée avec un grand succès aussi bien en France qu’en Angleterre et aux États-Unis.

James Tissot finit sa vie dans le château familial de Buillon dans le Doubs où il meurt le 8 août 1902, sans avoir pu achever son travail d’illustration de l’Ancien Testament.


Cette rétrospective est intéressante, et exhaustive puisque toutes les périodes de la carrière de James Tissot sont représentées. Au lieu de reprendre les termes d’ambigu moderne que je ne comprends pas trop, je préfère lui associer le qualificatif d’inclassable voire d’énigmatique : Français mais anglophile, proche des impressionnistes mais préraphaélite, conservateur et libéral, James Tissot est un personnage difficile à cerner y compris pour ses contemporains.

Ayant conservé une attirance pour la représentation du textile (affaire de famille sans doute), il demeure pour beaucoup le peintre de la mode féminine. Il a parfois été critiqué pour son manque d’originalité mais on reconnaît généralement l’étendue de son talent.


Il fut aussi graveur, exploitant souvent ses propres peintures pour les publier sous forme d’estampes. La BnF possède de nombreux exemplaires de ses réalisations.

Mavourneen – James Tissot
La galerie du « Calcutta » (Souvenir d’un bal à bord) – James Tissot

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