C’est un petit bout de quai, de moins de 200 mètres de long, qui longe le bassin du Commerce au centre du Havre : il honore, très modestement, le souvenir de Guillaume Le Testu, gloire locale un peu oubliée du 16e siècle, que la plaque de rue qualifie d’explorateur (1509 – 1572).

Le Havre – Centre culturel, Le Volcan, © Oscar Niemeyer – à gauche, un petit bout du quai Guillaume Le Testu

Mais Guillaume Le Testu, pillote en La Mer du Ponant, De La Ville Francoyse de Grâce (la ville de Grâce est en fait le « Havre de Grâce ») a été plus qu’un explorateur à l’époque des Grandes Découvertes, ce qui est déjà pas mal. Il a été également un cartographe particulièrement doué, représentant de l’école de Dieppe, qui a laissé à la postérité une Cosmographie universelle, manuscrit d’une réalisation exceptionnelle, dans lequel il a réuni les connaissances qu’il a acquises au cours de ses nombreuses navigations, en les mêlant à celles de son époque, selon les navigateurs tant anciens que modernes.

Le marin-géographe havrais a ainsi compilé dans son ouvrage achevé en 1555 des données géographiques mais aussi mythologiques, historiques et religieuses qui se superposent dans une « cosmographie », littéralement une description de l’univers, réalisée sous la protection de l’amiral Gaspard de Coligny, dont l’emblème, l’aigle, se retrouve au fil des pages.

Cosmographie Universelle – Emblème de l’amiral Gaspard de Coligny

La Cosmographie est composée de 6 planisphères en projections savantes et de 50 cartes régionales pourvues de lignes de rhumbs et d’échelles de latitudes, chaque planche étant accompagnée, en regard, d’un commentaire portant sur la géographie, le climat, les habitants, les activités humaines, etc.

Cosmographie universelle – Carte du Monde avec les terres imaginées aux pôles arctique et antarctique – quatrième projection

L’Europe, la côte ouest de l’Afrique, la côte est de l’Amérique ainsi que d’autres régions du monde sont aisément reconnaissables dans une grande partie des pages du manuscrit.

Cependant sa principale originalité est de consacrer un quart de ses cartes régionales au mythique continent austral conçu par les géographes au 16e siècle comme contrepoids aux masses terrestres de l’hémisphère septentrional. Il joint ici à la Terre de Feu, découverte par Magellan en 1519, la « Grande Jave » qu’imaginaient les cartographes normands au sud de Sumatra. Déclinée en douze planches, cette fiction cartographique, « faite par imagination » comme le reconnaît l’auteur dans son commentaire, s’appuie sur des reconnaissances partielles d’iles ou îlots bien réels, mais artificiellement raccordés entre eux. Deux siècles avant James Cook, Guillaume Le Testu avait l’intuition de l’Australie…

Cosmographie universelle – Petite Jave et Grande Jave (terre australe imaginée)

Mais le plus fascinant dans l’ouvrage est son bestiaire fantastique, où griffons, licornes et monstres marins rivalisent. De l’image du monde que l’on a, à celle que l’on s’en fait, les univers se démultiplient.

Cosmographie universelle – Créatures aux grandes oreilles
Cosmographie universelle – Partie des canibales

Je vous invite à feuilleter l’ouvrage au complet sur le site de Gallica avec la liseuse ci-dessous.

Voir en grand dans un nouvel onglet

Pour un survol rapide de l’ouvrage, voyez cette courte vidéo réalisée par la BnF :

La Cosmographie universelle de Guillaume Le Testu from Bibliothèque nationale de France on Vimeo.

Bien ! Nous venons d’examiner le travail de Guillaume Le Testu comme cartographe. Mais c’était aussi un pilote et un navigateur qui avait, entre autres, participé à l’exploration des côtes du Brésil menée par Nicolas Durand de Villegagnon en 1555. La flotte avait été mise à la disposition de Gaspard de Coligny par le roi Henri II pour y installer une colonie où les protestants français pourraient exercer librement leur religion. Mais cette colonisation, à l’emplacement du Rio de Janeiro actuel, fut très éphémère puisqu’elle s’acheva en 1560.

Carte française de la baie de Guanabara (Rio de Janeiro) dressée vers 1555. Riche en détails, elle montre la confirmation topographique initiale du mont du Pain de Sucre, dénommé initialement « Pot de beurre ».

Pendant les guerres de religion qui ravagèrent le pays à partir de 1562, Le Testu s’est rangé du côté des huguenots protestants, menant des raids de corsaire pendant deux ans avant sa capture par les catholiques. Il resta emprisonné pendant plus de quatre ans jusqu’à sa libération sur ordre du roi Charles IX.

Le 23 mars 1573, Le Testu a rencontré le célèbre corsaire anglais Francis Drake au Panama. Le Testu commandait le Havre navire de guerre de 80 tonneaux avec un équipage de soixante-dix personnes ; bien qu’on ne sache pas quelle était sa mission initiale, il a proposé de s’allier à Drake dans un dernier raid contre un convoi espagnol de mules chargées d’or qui assurait la liaison entre les littoraux pacifique et atlantique du Panama actuel (c’était le chemin habituel entre le Pérou et l’Europe).

Portrait de Francis Drake par Marcus Gheeraerts le Jeune (vers 1590)

Lui et Drake ont débarqué avec leurs hommes juste à l’est de Nombre de Dios. Alors que leurs navires partaient, avec l’ordre de revenir les chercher quatre jours plus tard, le groupe s’est dirigé vers l’intérieur des terres le 29 avril dans l’attente du convoi espagnol. 

L’attaque a été un succès complet et près de 30 tonnes d’or et d’argent ont été capturées par Drake et Le Testu. En fait, il y avait tellement d’or que les corsaires n’ont pas été en mesure de transporter tout le butin et qu’ils ont du enterrer ce qui restait. Cependant, Le Testu avait été grièvement blessé lors du premier assaut et il avait choisi de se reposer avec deux de ses hommes sur le bord de la route jusqu’à ce qu’il puisse voyager. Le reste du groupe est parti pour le rendez-vous prévu avec leurs navires, mais, à la place, ils ont découvert une flotte espagnole qui les attendait. Drake a été forcé de construire un radeau et de naviguer vers une île située à environ trois lieues de la côte, d’où il a pu contacter ses propres navires. En toute sécurité à bord avec son équipage, il a renvoyé une équipe de sauvetage pour récupérer Le Testu. Lorsque les hommes de Drake sont revenus, ils ont rapporté que Le Testu et ses hommes avaient été capturés par des soldats espagnols et exécutés. Le Testu avait été décapité. Un de ses hommes avait également été torturé jusqu’à ce qu’il révèle l’emplacement de la plupart des pièces d’argent enterrées. La tête de Le Testu a été ramenée à Nombre de Dios où elle a été exposée sur le marché.

Les hommes de Drake avaient réussi à retrouver une grande partie du butin qui manquait et ils l’ont ramené pour le partager entre les équipages anglais et français avant de retourner en Europe. Les Français survivants se sont toutefois plaints que les Anglais avaient pris la majorité des recettes !

Voila, c’est sur cet acte de piraterie que se termine la carrière mouvementée de Guillaume Le Testu (les Espagnols n’ont jamais admis le statut de « corsaires » des marins français et anglais et les ont traités comme des pirates).

Revenu chargé d’or, Francis Drake, bien que corsaire ou pirate, a été anobli par la reine Élisabeth sous le yeux de l’ambassadeur espagnol qui venait réclamer sa tête. Entre 1577 et 1580, il a réalisé la deuxième circumnavigation, la première étant celle de Magellan. En fait, il a été le premier capitaine à effectuer cette circumnavigation, Magellan étant mort au cours de son périple.

Gaspard de Coligny, devenu leader des Huguenots et cible des fanatiques catholiques, a été l’une des premières victimes du massacre de la Saint-Barthélémy.


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