Après six mois d’éloignement de mon musée préféré en raison du peu d’intérêt à mes yeux de la programmation en cette année olympique, j’ai repris ma carte d’Ami du Louvre pour profiter des expositions qui y sont présentées en cette mi-octobre.
L’humour ravageur du titre de cet article dissimule l’intitulé des ces expositions, Pierrot faisant référence à “Revoir Watteau ou Un comédien sans réplique, Pierrot, dit le Gilles” et le Fou à “Figures du fou, du Moyen Âge aux Romantiques“.
Revoir Watteau
La première se tient dans la salle de la Chapelle au premier étage de l’aile Sully. Elle célèbre le retour de restauration du tableau iconique d’Antoine Watteau, Le Pierrot ou Gilles, après deux années passées au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) qui vient de rendre au tableau tout son éclat.
Il faut bien évidemment une comparaison avant-après pour juger objectivement du travail effectué. J’avais pris une photo du Pierrot il y a 9 ans presque jour pour jour. Le tableau a retrouvé un éclat certain après le nettoyage des vernis jaunis mais il faut également signaler qu’il a gagné quelques centimètres, notamment en largeur, car les restaurateurs ont pu récupérer les bords de la toile qui avaient été repliés sur le cadre. Sur la comparaison ci-dessous, on peut constater ce gain en largeur.
L’exposition permet d’étudier cette peinture totalement singulière, dont l’attribution a parfois été contestée, au sein de l’œuvre de Watteau ainsi que dans le contexte culturel et artistique qui l’a nourrie. Sont rassemblées de nombreuses œuvres de Watteau (peintures, dessins) mais aussi de ses contemporains, peintres, dessinateurs, graveurs (Gillot, Pater, Lancret, Oudry, Fragonard, etc.) et hommes de lettre (Marivaux, Lesage, Regnard, Evaristo Gherardi), en privilégiant le riche répertoire théâtral de l’époque.
Analyser ainsi des œuvres au retour de leur restauration est une bonne idée (la présentation de la Vierge du chancelier Rollin était superbe) car elle permet de focaliser le spectateur sur le travail effectué (toujours fabuleux) mais également d’élargir l’horizon artistique et historique autour d’une œuvre.
Le dossier de presse de l’exposition est téléchargeable à cette adresse.
Figures du fou
La seconde exposition se tient dans le hall Napoléon que nous découvrons dans sa nouvelle disposition : la rotonde qui servait d’accueil et de boutique est désormais totalement intégrée dans le parcours de l’exposition qui gagne ainsi en espace.
Le musée du Louvre consacre cette exposition inédite à ces multiples figures du fou, qui foisonnent dans l’univers visuel du 13e au 16e siècle. Manuscrits enluminés, livres imprimés et gravures, tapisseries, peintures, sculptures, objets précieux ou du quotidien : entre Moyen Âge et Renaissance, le fou envahit littéralement tout l’espace artistique et s’impose comme une figure fascinante, trouble et subversive dans une époque de ruptures, pas si éloignée de la nôtre.
L’exposition s’interroge sur l’omniprésence des fous dans la culture et l’art chrétiens occidentaux au Moyen Âge et à la Renaissance, mais ne retrace pas une histoire de la folie comme maladie mentale. Le parcours s’attache à montrer les différentes facettes de la figure du fou, personnage clé dans l’avènement du monde moderne. Enraciné à l’origine dans la pensée religieuse, le fou est l’« insensé » rejetant Dieu. Il s’épanouit surtout dans le monde profane pour devenir, aux 14e et 15e siècles, une figure essentielle de la vie sociale urbaine, symbole de la luxure ou dénonçant l’amour charnel, voué à la mort.
Rois et princes ont, à leur cour, des fous (naturels ou “artificiels”) destinés à les divertir et à porter une parole ironique ou critique sur les grands de ce monde. Certains sont passés à la postérité comme Coquinet, le “sot” du duc de Bourgogne. Ils deviennent des personnages des jeux de la cour, échecs, jeux de cartes (d’où le “joker”).
Mais ce sont parfois les rois et les reines qui sont atteints d’une véritable maladie mentale, à l’image du roi de France Charles VI (et de ses “absences”) et de Jeanne de Castille, dite Jeanne la Folle, qui n’a pas supporté la mort de son époux et a été enfermée pendant près de 50 ans.
L’abondante production artistique témoignant de cet engouement, depuis les objets et peintures les plus raffinés jusqu’aux objets de la vie quotidienne, nous montre à quel point la figure du fou faisait pleinement partie de la culture visuelle des personnes de ce temps. Le 16e siècle voit la poursuite et l’apogée de cette évolution : la figure du fou est érigée en symbole des désordres du monde.
La multiplication des fous donne lieu à différents mythes qui prétendent expliquer leur genèse, et leur expansion sur toute la terre, en particulier avec l’idée de la nef des fous. Le tableau de Jérôme Bosch (vers 1450-1516), intitulé à tort par la critique moderne La Nef des fous, comme le livre de Sébastien Brant, n’est en réalité que le fragment d’un triptyque démembré. Le message général du tableau renvoie à l’univers de la folie, mais aussi à d’autres motifs : la peinture des vices et l’incertitude du destin humain, avant et après la mort. Pieter Bruegel l’Ancien (vers 1525-1569), comme Bosch, continue parfois d’user de la figure du fou de manière traditionnelle. Mais il lui donne aussi une valeur nouvelle : le fou passe au second plan et devient le témoin de la folie des êtres humains.
Ce voyage sur la Nef des fous s’interrompt au 17e siècle, qui marque une éclipse de la figure du fou, mais cette figure subversive suscite un regain d’intérêt au crépuscule du 18e siècle, après la tourmente révolutionnaire, et ressurgit au 19e siècle sous de nouvelles formes avec la naissance de la psychiatrie.
Avec plus de trois cents œuvres, prêtées par 90 institutions françaises, européennes et américaines, cette magnifique exposition propose un parcours exceptionnel dans l’art de l’Europe du Nord (mondes flamand, germanique, anglo-saxon et français surtout) et met en lumière un Moyen Âge profane, passionnant et bien plus complexe qu’on ne le croit.
Le dossier de presse de l’exposition est téléchargeable à cette adresse.
Les deux expositions restent à l’affiche jusqu’au 3 février 2025.
Collection Torlonia
Nous profitons de ces visites pour aller admirer les chefs-d’œuvre de la collection Torlonia, la plus grande collection privée de sculpture antique romaine conservée à ce jour, rassemblée par les princes Torlonia durant tout le 19e siècle à Rome (ça aide quand on a de l’argent).
Les marbres de Torlonia sont installés dans l’écrin restauré des appartements d’Anne d’Autriche, siège des collections permanentes de sculpture antique depuis la fin du 18e siècle et la naissance du musée du Louvre. Provisoirement, la cour du Sphinx est réouverte dans le cadre de cette exposition avant d’être à nouveau fermée pour de travaux de réaménagement de la section des sculptures romaines.
L’exposition dure jusqu’au 6 janvier 2025.
Un dossier pédagogique est téléchargeable ici.
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