L’exposition que le musée Jacquemart-André consacre à l’immense artiste de la Renaissance italienne s’intitule Botticelli, artiste et designer. À vrai dire, la qualité de designer de Sandro m’échappe un peu, même après avoir parcouru l’exposition. La section Un atelier polyvalent évoque bien le travail de son atelier dans certains arts appliqués, comme la tapisserie, l’orfèvrerie ou la marqueterie mais, pour moi, ce n’est pas du design et l’essentiel de la rétrospective est consacré à la peinture.

C’est plutôt l’activité de son atelier qui est mise en avant, en montrant l’importance de cette pratique typique de la Renaissance italienne. Botticelli, créateur de génie, était également entrepreneur et formateur. Comme le précise le musée, la répartition des tâches au sein de l’atelier n’exclut cependant pas que le maître lui-même intervienne sur un panneau en cours de réalisation, comme dans le Jugement de Pâris où certains passages de grande qualité révèlent sa participation directe.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510) et atelier, Le Jugement de Pâris, vers 1482-1485, tempera sur bois

Une autre pratique d’atelier est assez répandue : l’exercice de la copie, qui relève autant d’un exercice d’apprentissage que d’une stratégie commerciale. Certaines compositions particulièrement appréciées du public, tel le Retour de Judith à Béthulie, sont ainsi plus largement diffusées. Les conditions d’exécution des œuvres au sein d’un atelier du XVe siècle remettent donc en question la notion d’œuvre originale telle que nous l’entendons aujourd’hui. Toute œuvre sortie de l’atelier est le fruit d’un travail de collaboration, mais n’en est pas moins une œuvre « de Botticelli », car elle est conçue selon son dessin et porte sa marque de fabrique.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510) et Filippino Lippi (1457 – 1504), Le retour de Judith à Béthulie, 1469-1470, tempera sur bois

Après avoir été formé à Florence dans l’atelier de Filippo Lippi et à la mort de celui-ci, Sandro Botticelli accueillit dans son propre atelier Filippino Lippi, le fils de son ancien maître, qui devint son collaborateur le plus doué. Quelques-unes de œuvres exposées sont attribuées aux deux artistes, comme le Retour de Judith ci-dessus.

On peut voir en regard le tableau du maître et celui de l’élève comme les Vierges à l’Enfant ci-dessous, celle de Filippo Lippi (le père et le maître) à gauche, celle de Botticelli à droite.

Mais je suis venu admirer aussi la Belle Simonetta, plus exactement une « figure allégorique », dérivant probablement d’un portrait réel de Simonetta Vespucci, célébrée de son vivant pour sa beauté et à qui Julien de Médicis vouait un amour chaste, dans la tradition de l’amour courtois. Réalisé plusieurs années après la disparition de la jeune femme (morte à 23 ans en 1476), ce tableau correspond à une série de figures féminines idéalisées dont Botticelli peuple son œuvre au cours des années 1480.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510), Figure allégorique dite La Belle Simonetta, Vers 1485, tempera et huile sur bois de peuplier

Simonetta, nous l’avons déjà rencontrée dans ces pages, notamment lors de l’exposition La Joconde nue au Château de Chantilly en août 2019, peinte par Botticelli et par Piero di Cosimo. Ou quelques années plus tôt à Florence, sous les traits de la Vénus naissante.

L’activité de portraitiste de Sandro Botticelli nous est connue à travers une petite dizaine de tableaux sur bois dont aucun n’est signé ou daté et dont le plus célèbre est sans doute le portrait de Julien de Médicis, assassiné à 25 ans en 1478 par les infâmes Pazzi.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510), Portrait de Julien de Médicis, vers 1478–1480, tempera et huile sur bois

Sous l’influence des Médicis, le renouveau artistique de l’époque s’inspire de grandes scènes mythologiques comme La Naissance de Vénus (conservée aux Offices à Florence) pour laquelle Botticelli réalise une synthèse entre le mythe antique et la philosophie poétique des humanistes florentins. Mais, fidèle à une stratégie de réemploi de motifs, Botticelli reprend la figure centrale de Vénus pour en renouveler la représentation, tout en répondant à la demande de la clientèle.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510) – Venus pudica – vers 1485-1490 – Le modèle dérive de La Naissance de Vénus, œuvre célèbre pour laquelle Boticelli s’est inspiré de la description du tableau perdu d’Apelle, célèbre peintre de l’Antiquité.

La production de peintures religieuses ne fait pas exception dans l’atelier de Botticelli qui en a produit plusieurs dans la lignée héritée de ses maîtres.

Le retable y joue un rôle fondamental car, placé dans l’espace public, au-dessus de l’autel d’une église ou d’une chapelle, il fait partie des commandes les plus prestigieuses qu’un artiste puisse recevoir. Par sa visibilité, il assure la diffusion du style et des inventions du peintre, pour susciter l’engouement de nouveaux clients.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510) et atelier – Le Couronnement de la Vierge avec saint Juste de Volterra, le bienheureux Jacopo Guidi de Certaldo, saint Romuald, saint Clément et un moine camaldule, vers 1492, tempera et huile sur bois transféré sur toile

Une autre spécialité de l’atelier de Botticelli est la production de tondi, un format circulaire particulièrement prisé à Florence. Botticelli excelle dans la maîtrise de ce format complexe, innovant dans le choix des compositions et les jeux de perspective.

Ces panneaux ronds, qui se prêtent particulièrement aux sujets religieux destinés à la sphère privée, témoignent aussi de certaines pratiques d’atelier pour rationaliser la production. Le recours aux livres de modèles et aux cartons (dessins préparatoires à échelle réelle) permet au maître de déléguer à ses assistants l’exécution des tableaux tout en se réservant la conception seule.

Maître des bâtiments gothiques (Jacobo Foschi ?) d’après Botticelli – La Vierge du Magnificat – années 1490

À la fin des années 1480, le pouvoir des Médicis est ébranlé par l’audience croissante du moine Savonarole dont les sermons apocalyptiques ont une violente incidence sur la population florentine, jusqu’à son excommunication et sa condamnation à mort en 1498.

L’esprit créatif du peintre ne pouvait que réagir vivement aux visions prophétiques et à l’éloquence tourmentée du moine. À la fin du XVe siècle, l’œuvre de Botticelli traduit un réel questionnement esthétique : les formes autrefois harmonieuses et élancées se tassent, les beautés mélancoliques se voilent de pudeur, les compositions renouent avec une hiérarchie des rôles passée d’usage, comme dans Judith tenant la tête d’Holopherne (fin des années 1490).

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510), Judith tenant la tête d’Holopherne, fin des années 1490, tempera sur bois

Les dernières années sont marquées par une emprise plus grande de l’atelier sur l’activité du maître qui, relativement âgé et affaibli, ne peut sans doute plus contribuer autant qu’il le voudrait à la réalisation de ses œuvres. Les variantes d’atelier, aux figures de plus en plus monumentales, tentent de perpétuer la vision originale de Botticelli sans réussir à en conserver toute la grâce.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510) et atelier – Vierge à l’Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste – vers 1505
Une version inversée du précédent tableau, réalisée à partir d’un carton retourné

C’est dans ce contexte qu’après avoir incarné un art résolument « moderne », Botticelli tombe dans l’oubli pour être finalement redécouvert au XIXe siècle, avec une fortune artistique et critique qui ne s’est pas démentie depuis.


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