Je souhaite apporter ma modeste contribution à la montée en puissance de l’intelligence dans notre société. Il n’est partout question que d’intelligence artificielle, d’intelligence collective, de villes intelligentes, d’itinéraires intelligents, que sais-je encore ? Sur les réseaux sociaux, à la télévision, dans le discours politique, tout nous pousse à transcender nos instincts primitifs pour nous élever intellectuellement.

Aussi, afin d’accompagner cette démarche, j’ai décidé de mettre en place dans ce blog une rubrique Le gratin de la bêtise où seront consignés des échantillons d’anti-intelligence glanés de-ci et aussi de-là. 

Attention : en fonction de mon approche personnelle, la bêtise (tout comme l’intelligence) se cachera parfois là où on ne l’attend pas.

Par exemple, à propos d’itinéraires intelligents, on peut aller lire les mésaventures de la commune de Lieusaint qui s’obstine à refuser les bienfaits des algorithmes baladeurs de Waze :

On a mis un feu rouge improbable à l’entrée de la ville » : les astuces du maire de Lieusaint pour tromper Waze

Et la suite, consternante (se battre contre l’intelligence ?):

Lieusaint contre Waze : comment une ville française se bat contre les itinéraires intelligents

La ville de Lieusaint est envahie par les automobilistes, à en croire ses riverains. // Source : Numerama

Où est la bêtise dans cet exemple : l’algorithme mal conçu qui décide à notre place, la commune qui ne veut pas admettre qu’elle doit se soumettre au bien public des automobilistes, ou bien ceux-ci, qui se passent des messages entre eux pour s’avertir que les contraintes de circulation annoncées par leur GPS pour Lieusaint sont en fait bidons. Je ne sais plus qui a dit que derrière un volant, même un Prix Nobel devient con.

Dans un autre domaine, celui de la « relation client » pour les entreprises, l’intelligence artificielle nous promet des lendemains radieux :  » interagir avec le client de manière plus automatisée, moins coûteuse, plus personnalisée, et donc plus efficacement pour la vente ». J’en frémis d’avance.

Malheureusement, des esprits rétrogrades essaient d’attirer l’attention de leurs concitoyens en lançant des alertes sur la soi-disant exploitation d’une nouvelle classe de prolétaires connectés. Le sociologue Antonio Casilli enquête sur le travail invisible et précarisé qui se cache derrière les IA et les algorithmes. Le Monde publie quelques « bonnes feuilles » de son livre :

Derrière l’illusion de l’intelligence artificielle, la réalité précaire des « travailleurs du clic ».

L’exemple ci-dessous est cité par l’article du Monde mais comme il est réservé aux abonnés, vous n’y avez peut-être pas accès. Je résume :

Une pépite du secteur innovant, spécialisée en intelligence artificielle (IA), SuggEst, vend une solution automatisée de pointe qui propose des produits de luxe à des clients aisés. C’est « grâce à un procédé d’apprentissage automatique » que la start-up devine les préférences de ces personnalités et anticipe leurs choix. 

Ouais ! Derrière cette machine qui apprend de manière anonyme, autonome et discrète se cache toutefois une réalité bien différente. Le travail que l’IA aurait dû réaliser est en fait exécuté à l’étranger où se trouvent des personnes disposées à « jouer les intelligences artificielles » :  en fouillant les médias sociaux et les archives du Web, elles suivent les personnalités sur les réseaux, parfois en créant de faux profils, et rédigent des fiches avec leurs préférences à envoyer en France. Ensuite, SuggEst les agrège et les monétise auprès d’entreprises du luxe, qui proposent les offres. 

Combien sont-elles, sur terre, ces « petites mains de l’intelligence artificielle » ? Personne ne le sait. Des millions, certainement. Et combien sont-elles payées ? À peine quelques centimes par clic, souvent sans contrat et sans stabilité d’emploi.

Vous l’avez compris, le ton moqueur que j’emploie ne peut cacher mon inquiétude face à ces excès qui nous considèrent comme de la « ressource humaine », menacent notre intelligence et démolissent la démocratie.

À bientôt dans cette rubrique.


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