À quelques pas de celle d’Edvard Munch, l’exposition consacrée à Rosa Bonheur par le musée d’Orsay nous fait accomplir un joli saut stylistique entre expressionnisme et réalisme.
Le bicentenaire de la naissance de Rosa Bonheur (1822-1899) est à l’origine de cette exposition co-organisée par le musée d’Orsay et le musée des Beaux-Arts de Bordeaux, la ville natale de l’artiste, avec la collaboration exceptionnelle du château Rosa Bonheur à By-Thomery. Il s’agit de la première rétrospective consacrée à cette grande artiste du 19e siècle à Paris depuis un siècle. Près de deux cent œuvres ont été rassemblées pour mettre à l’honneur une personnalité hors normes qui fut une véritable « star » en son temps. Célébrée des deux côtés de l’Atlantique, comblée d’honneurs et de récompenses, elle sut s’imposer à la fois comme la plus grande peintre animalière, supplantant dans ce genre ses confrères masculins, et en tant que femme libre dans un siècle très corseté. Icône du féminisme, symbole fort pour l’émancipation des lesbiennes, elle n’a jamais été autant en phase avec notre époque par son art lié à ses engagements écologiques avant l’heure et à sa défense de la cause animale.
Présentation de l’exposition
Passionnée dès sa plus tendre enfance par les animaux qu’elle croque inlassablement, Marie-Rosalie abandonne à l’âge de 13 ans l’école pour rejoindre l’atelier de son père. Plein d’ambition pour sa fille, Raymond Bonheur l’exhorte à « suivre sa voie » et à se confronter aux maîtres du passé qu’elle copie au Louvre. Lors de sa première participation au Salon, en 1841, ses Deux lapins sont remarqués. Marie-Rosalie s’affranchit peu à peu de l’emprise paternelle; elle signe, deux ans plus tard, Rosa Bonheur, en souvenir du diminutif que lui donnait sa mère dont la mort prématurée, en 1833, traumatisa l’artiste.
Elle sillonne les campagnes, en Auvergne, dans les Pyrénées, dans le Nivernais. Elle étudie intensément chaque nouvelle race rencontrée. Au Salon de 1845, Rosa Bonheur reçoit une médaille de troisième classe pour son Labourage. En 1848, elle est la grande révélation du Salon avec Taureaux et bœufs, race du Cantal. L’État lui commande alors ce qui deviendra son premier chef d’œuvre: Labourage nivernais, hommage au travail des animaux, devenu icône d’une ruralité heureuse.
Déjà célèbre grâce au Labourage nivernais, Rosa Bonheur connaît un véritable triomphe au Salon de 1853 avec Le Marché aux chevaux. Elle entend s’imposer comme une créatrice hors normes, en s’attaquant à un genre traditionnellement réservé aux hommes et en donnant à ce thème animalier le format des plus nobles peintures d’histoire. L’artiste choisit un sujet contemporain. Elle peint avec vérité la puissance des chevaux percherons et la violence des hommes tout en invoquant l’héritage des frises du Parthénon et en se mesurant aux maîtres de l’époque romantique, tel Théodore Géricault.
Assez rapidement, la renommée de Rosa Bonheur s’accompagne d’un grand succès commercial qu’elle gère comme une femme d’affaires avisée. La vente de ses toiles et la diffusion des estampes lui permettent de faire l’acquisition du château de By, à Thomery, en lisière de la forêt de Fontainebleau, où elle aménage en 1860 avec sa compagne Nathalie Micas. Elle y fait construire un grand atelier et elle peut, lors de longues promenades, étudier à loisir la nature et les animaux. Elle va jusqu’à posséder des lions pour mieux les dessiner et les peindre !
Malgré son envie profonde de se rendre aux États-Unis où elle jouit d’une grande célébrité, Rosa Bonheur ne peut accomplir ce rêve. Elle est fascinée par les grands espaces de l’Ouest, par ses habitants autochtones et par la faune spécifique à ces paysages: les chevaux sauvages et surtout les bisons. Lorsque William Cody, alias Buffalo Bill, installe son Wild West Show à Neuilly, en 1889, Rosa Bonheur ne manque pas l’occasion d’aller à la rencontre des acteurs Sioux Lakotas et de leurs familles.
C’est le mérite de l’exposition de permettre d’avoir une idée de la complexité et de la richesse de son œuvre, en faisant également une grande place au dessin, à la base de son travail.
Deux femmes partagèrent la vie de Rosa Bonheur : Nathalie Micas, puis, à la mort de cette dernière, Anna Klumpke, une jeune artiste américaine qu’elle désigna comme légataire universelle. La famille lui intenta un procès pour captation d’héritage. Une transaction intervint. Alors furent mises sur le marché, en quelques jours, plus de 2 000 toiles. Cette grande vente publique provoqua la chute de la cote de Rosa Bonheur. Et l’effondrement d’un mythe qui avait brillé pendant plus de quarante ans.
Une partie du monde artistique du 20e siècle répudia son genre de peinture (« horriblement ressemblant » aurait dit Cézanne), même si elle est un modèle pour les artistes femmes. Sa cote est aujourd’hui remontée et Rosa Bonheur est considérée comme une des premières féministes en raison de la vie très libre qu’elle a menée.
Allez admirer son travail au musée d’Orsay jusqu’au 15 janvier 2023.
Si vous êtes curieux, lisez ci-dessous l’article de La Liberté en date du 31 mai 1899 relatant l’enterrement de Rosa Bonheur et retraçant sa vie et sa carrière.
0 commentaire