Depuis quelques temps, je voulais vous parler d’une femme d’exception, Anita Conti (1899 – 1997) et voila que France Culture remet en avant, pour occuper nos longues journées d’été, une émission qui était consacrée à cette grande dame de la mer.
Source : Anita Conti (1899-1997), la dame de la mer – Ép. 3/5 – Récits de voyages
J’ai trouvé dans les archives du ministère de la Culture une courte biographie qui rappelle ses débuts comme relieuse d’art avant qu’elle ne devienne une océanographe spécialisée dans la pêche industrielle dont elle redoutait déjà (dans les années 1930) les excès sur les ressources halieutiques :
Elle nait à Ermont-sur-Oise dans une famille fortunée. De son enfance, elle gardera le goût de la mer, des voyages et des sciences. Relieuse d’art réputée dans le cercle des collectionneurs parisiens dans les années 1920, Pierre Mac Orlan décrit son travail de manière élogieuse : « Voici quelques livres reliés par madame Anita Conti. Ils ont suivi chacun des routes incomparables pour atteindre l’atelier de Celle-qui-écoute-parler-les-livres … Elle-même, au milieu des peaux qui vêtiront les livres dans leur période de luxe, est comme un personnage de Kipling quand il fait agir le Médecin des perles ». Durant les années 1930, elle expose ses reliures d’art à l’Exposition coloniales (1931), au Salon d’automne à Paris (1932, 1933, 1935), mais également à Londres, Bruxelles et New York où elle est plusieurs fois primée.
Parallèlement, elle embarque en mer. Ces articles et récits de voyages publiés dans de nombreux journaux – qu’elle signe Anita Cara diminutif de son nom de famille Caracotchian – avant son mariage avec Marcel Conti – la font remarquer par le directeur de l’Office scientifique et technique des pêches maritimes (O.S.T.P.M.), Édouard Le Danois.
Faisant figure d’exception dans l’univers masculin de la pêche et de l’océanographie, elle devient la première femme océanographe, participant en 1935 à diverses campagnes sur le premier navire océanographique français, puis avant la Seconde Guerre mondiale sur un chalutier-morutier en campagne au Spitzberg. Durant la guerre, elle obtient notamment grâce à l’appui d’Édouard Le Danois l’autorisation d’embarquer en tant que photographe de la Marine sur des dragueurs de mines en Manche et en Mer du nord, photographiant les tentatives de déminage. Après la débâcle, l’office des pêches conserve son directeur qui encourage le personnel à soustraire les navires au contrôle de Vichy pour favoriser le ravitaillement des populations et des alliés. Depuis Saint-Malo, elle s’embarque sur le chalutier Volontaire pour rejoindre les côtes de l’Afrique de l’ouest.
Anita Conti s’est fait accepter et respecter par les marins pêcheurs et les marins de la Royale qu’elle photographie avec un tempérament de photoreporter, s’intéressant aussi bien aux terre-neuvas, à la pêche en Afrique qu’aux premières expériences d’aquaculture. À travers ses livres – Racleurs d’océans, Géants des mers chaudes – et ses conférences, ses notes et quelque quarante mille clichés, elle décrit les conditions de la pêche et alerte sur les risques de la surpêche en un temps où les questions d’épuisement de la ressource n’étaient pas centrales. À ceux qui lui demandaient si elle était un garçon manqué, la Dame de la mer répondait « Non, je suis une femme réussie ».
Presque centenaire, elle meurt à Douarnenez une nuit de tempête.
Dès que je mets le pied à bord, je voltige. La vie est là … avec les ailes furieuses du vent et les chocs de l’eau!
L’histoire d’Anita Conti ne s’arrête pas là et c’est Loïc Tissot, en décembre 2019 dans Ouest-France, qui nous raconte les mésaventures de ses 40 000 photographies, alors que la justice venait tout juste de trancher sur le différend qui opposait la ville de Lorient et le fils adoptif d’Anita (son ayant-droit, qui supportait mal d’avoir été évincé de l’exploitation de ce fonds, enfin plutôt de ne pas avoir reçu suffisamment de pognon) :
De son vivant, l’océanographe et photographe a conservé ses trésors dans son appartement parisien : des photos, des archives manuscrites, des collections diverses, des témoignages sonores.
Depuis 2003, après être passé par Fécamp et Douarnenez, le fonds était stocké dans un bâtiment mis à la disposition de l’association Cap sur Anita Conti par la ville de Lorient.
Mais des mésententes ont déplacé le “dossier” dans le bureau des avocats. Elles ont eu notamment raison de l’association qui jouait le rôle d’intermédiaire entre l’ayant droit, fils adoptif de l’aventurière (sic !). et la Ville, qui disposait jusque-là de la nue-propriété du fonds.
Résultat de cet épineux épisode judiciaire : la Ville de Lorient n’a pu, jusqu’ici, exploiter un fonds pour lequel elle a investi 750 000 €. C’est ce qu’ont coûté les travaux de restauration, de numérisation et de préservation des 15000 objets qui en font partie.
“En récupérant l’usufruit, on a sauvé ce fonds” assure l’adjointe à la culture de Lorient. La période de gel est terminée. La Ville va pouvoir répondre, autrement que par la négative, aux sollicitations enregistrées depuis six ans. Elles émanent d’éditeurs, de compagnies de théâtre, de porteurs de projets d’exposition.
Y aura-t-il un espace dédié pour profiter des trésors laissés par Anita Conti ? Les élus actuels ne répondront pas à la question. Ce sera à la prochaine équipe municipale (en 2020) de décider comment valoriser un fonds longtemps resté dans ses cartons.
Au-delà de la rade de Lorient, au-delà de ces océans et fonds marins qu’elle a étudiés, la mémoire d’Anita Conti va enfin pouvoir voyager.
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