Il y a tout juste un siècle, le musée du Louvre réouvrait des salles après de longs travaux. Pour inaugurer les nouveaux aménagements, le Président de la République, Raymond Poincaré, avait fait le déplacement le 16 janvier 1920 (son mandat se terminait un mois plus tard, ça devait être cool, déjà qu’à l’époque le Président ne servait pas à grand chose, sauf inaugurer les chrysanthèmes … et les musées).
Je suis tombé sur un article du Petit Parisien du jour qui fait le point sur les nouvelles dispositions des salles. Le lyrisme de l’auteur de l’article m’a interpelé. Et il est intéressant de comparer les accrochages à un siècle de distance.
Vous pouvez lire l’article directement sur Gallica, ci-dessous, en bas à droite de la première page et la suite en page 2. Ce n’est pas très confortable, cependant.
Alors j’ai retranscrit le texte de l’article ci-dessous pour le rendre plus lisible : j’ai rajouté en italique les numéros de salle actuels, ainsi que quelques observations et des photos (© Le Louvre et personnelles) pour illustrer certaines salles et certains tableaux évoqués. Mais les photos des salles ne correspondent bien sûr pas aux aménagements évoqués dans l’article. De la même manière, les liens dans le texte ne datent pas de 1920 …
Avant la visite présidentielle, les nouveaux aménagements du musée du Louvre
Le Président de la République visite, ce matin, les galeries qui ont été rouvertes au Louvre. Les nouveaux aménagements expliquent et justifient les délais qui furent nécessaires pour cette réouverture. Une œuvre considérable a été accomplie. Le musée semble en quelque sorte rajeuni. Ses trésors d’art apparaissent plus précieux par leur attentive mise en valeur.
Après avoir traversé la galerie d’Apollon (salle 705, Denon niveau 1), où on revoit les joyaux royaux et les diamants de la Couronne, on a, dès l’entrée dans le salon Carré (salle 708, que l’on pouvait atteindre directement depuis le fond de la galerie d’Apollon semble-t-il), l’impression de cette rénovation dans la présentation. Le Salon Carré, tel qu’il s’offrait auparavant, contenait des merveilles, mais il en contenait trop, dans un entassement, qui était presque une confusion de splendeurs.
Il a été dégagé de cette accumulation de cadres de dimensions diverses, les plus grands écrasant les autres. Ce ne sont plus toutes les Écoles qui y sont représentées. Appelant les vastes compositions, il est redevenu le glorieux vestibule de la longue galerie où se déroule l’histoire de la peinture italienne, une suite de chefs-d’œuvre, mais entre lesquels on a laissé de l’air.
En face des Noces de Cana, on a descendu sur la cimaise le Repas chez Simon le Pharisien, cette autre immense toile de Veronèse, qui était autrefois placée trop haut. La Suzanne du Tintoret, et les Pèlerins d’Emmaüs du Titien, entourent à distance les Noces de Cana. Le Saint Michel, la Sainte Famille, de Raphaël, et l’Antiope, du Corrège, ont gardé leur ancienne place.
Si d’autres œuvres prestigieuses ont émigré ailleurs, c’est pour qu’elles trouvent mieux leur atmosphère, pour plus de piété dans l’admiration qui leur est due. Dans ce Salon Carré, rayonnent l’Apparition de la Vierge de Carrache, le Christ couronné d’épines du Titien, les Disciples d’Emmaüs, de Veronèse, la Déjanire (enlevée par le centaure Nessus), du Guide (Guido Reni) ; le Jupiter et Antiope du Titien. C’est une synthèse des écoles italiennes à l‘époque du seizième siècle.
La « Tribune »
À droite, en entrant dans la Grande Galerie (salles 710, 712 , 716), c’est, dans la « salle des Sept-Mètres » (salle 709), la réunion de primitifs italiens, Cimabué, Giotto, Philippo Lippi. Mais c’est dans cette Grande Galerie que les modifications sont particulièrement sensibles. Le principe du classement, plus rationnel que celui qui avait été adopté précédemment, a été de suivre, pour ainsi dire en tableaux synoptiques, l’histoire de la peinture italienne, par époques. Les Écoles d’Italie se succèdent donc, de la période archaïque à la période classique.
Et voici, quand on arrive à l’épanouissement de cette période, l’ingénieuse innovation. Au milieu de la galerie, entre quatre groupes de deux colonnes, à l’aide de grands rideaux grenat, assez ouverts encore cependant pour ne pas masquer la perspective, on a disposé une sorte de cabinet, qu’on appelle déjà la « Tribune », comme au musée des Offices de Florence, qui est, pour les toiles de dimensions moyennes ce qu’est le Salon Carré pour les grandes. C’est ici le domaine de l’incomparable, et ces dispositions permettent le recueillement devant ces chefs-d’œuvre des chefs-d’œuvre, contemplés en une manière d’intimité, dans un cadre même de beauté, car, en petit nombre, des objets d’art et des statues de la Renaissance apportent leur ornementation en ce véritable lieu à élection. Là, selon l’expression de M. Paul Jamot, qui fut le zélé collaborateur de M. Guiffrey dans ces délicats agencements, règnent l’affinité avec la diversité, l’égalité avec la souveraineté.
Sur un fond de velours d’une nuance semblable à celle des rideaux, se détache la Joconde, reine de la « Tribune » dans la sérénité que lui donne la certitude d’être éternellement belle. De chaque côté, deux petits Raphaël, le Saint Georges et le Saint Michel. Sous le panneau où elle trône, un somptueux coffre sculpté. À sa droite, le Concert champêtre, de Giorgione, d’un coloris si moelleux et si chaud ; à sa gauche, le Mariage mystique, du Corrège. Et, dans ce cabinet, gloire du Louvre, ce sont encore le fascinant portrait de Jeanne d’Aragon, l’Allégorie en l’honneur d’Alphonse d’Avalos de Raphaël, la Sainte Anne de Léonard de Vinci, le François Ier du Titien.
Cette demi-clôture est favorable à la dévotion devant des œuvres qui représentent l’apologie de l’art italien.
Au-delà de la « Tribune », halte comme dans un sanctuaire au cours de la longue galerie, les Écoles espagnoles «foyers d’art d’une étincelle envoyée par l’Italie », ont là leur place logique. On ne va pas encore jusqu’au bout de la galerie, dont la restauration n’est pas terminée. Mais on a voulu exposer aux yeux des visiteurs, avant qu’elle trouvât son installation définitive, la récente acquisition du Louvre, l’Atelier de Courbet. Ce magistral tableau doit, dans la salle des États (salle 711), faire pendant à l’Enterrement d’Ornans.
L’Atelier et l’Enterrement d’Ornans sont au musée d’Orsay aujourd’hui, la salle des États vient d’être – à nouveau – réaménagée et abrite la Joconde, les Noces de Cana, etc.
Dans les salles qui s’étendent à gauche de la galerie (à gauche ?) , les primitifs français dont le chef-d’œuvre est la Pieta, du quinzième siècle, provenant de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon.
Ces aménagements, auxquels a présidé M. J. d’Estournelles de Constant, font honneur au nouveau directeur des musées nationaux.
La collection Camondo
Le Président de la République inaugure, au second étage, la collection Camondo, don magnifique fait au Louvre.
On sait que cette collection contient des objets d’art de diverses époques : un bronze de DonateIlo, une pendule de Falconnet, qui, en des temps d’évaluations plus modestes, était estimée douze cent mille francs ; des pièces rares d’Extrême-Orient, des meubles précieux. Après avoir parcouru les grandes salles, on a la sensation d’être introduit dans les appartements d’un collectionneur du goût le plus éclairé.
M. Camondo avait réuni une trentaine de toiles modernes, qui sont parmi les plus significatives : des Degas, des Claude Monet, des Sisley, des Cézanne ; la Lola et Le Fifre, de Manet. Cet ensemble ne se présente pas seulement pour la joie des yeux. Il appelle bien des réflexions sur les étapes nécessaires pour la compréhension des efforts les plus sincères et sur les luttes qu’eurent à subir ces maîtres aujourd’hui incontestés.
Aujourd’hui, la collection Camondo est répartie entre plusieurs musées, dont le musée d’Orsay, pour la collection impressionniste, le musée Guimet pour la collection d’œuvres d’art asiatiques, le Musée de l’Histoire de France, le Musée national de la Marine et le Louvre, où sont exposées, par exemple, les œuvres de Delacroix de la collection Camondo. À ce jour, la « Salle de la donation Camondo » (salle 607, Sully niveau 1) évoque le souvenir du généreux donateur du Louvre.
Auteur de l’article : Paul GINISTY
(Écrivain et journaliste, chroniqueur régulier à la revue Gil Blas, Paul Ginisty fait la connaissance de Guy de Maupassant qui lui dédiera la nouvelle Mon oncle Sosthène. De 1896 à 1906, il est directeur du Théâtre de l’Odéon, puis devient inspecteur des monuments historiques)
Le document Les accrochages de la Joconde du musée du Louvre est très bien illustré sur les différents aménagements du salon Carré et de la “Tribune” de la Grande Galerie.
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