Les Archives nationales – et d’autres institutions, bibliothèques et dépôts d’archives – ont sorti de leurs cartons de magnifiques documents cartographiques pour nous montrer comment était représenté, au Moyen Âge et à la Renaissance, l’espace français.
Quand les artistes dessinaient les cartes… Ce titre parle d’un temps lointain et bien différent du nôtre. De nos jours en effet, on considère les artistes comme des créateurs spécialisés dans l’imaginaire et l’invention. D’un autre côté, on envisage les cartes comme des documents factuels, produits d’un relevé mathématique ou de couches de données satellitaires. L’art du dessin n’y entre point.
Mais à un moment décisif de l’histoire de la cartographie, et en particulier de la cartographie locale et régionale, lorsque les codes, les styles et les traditions de celle-ci commencèrent à être définis, les artistes ont été les professionnels privilégiés pour l’exercice. Les cartes ont été le produit de leur savoir-faire figuratif. Ce moment est intervenu en France, et plus généralement dans toute l’Europe, entre 1300 et 1600.
Source : panneau de présentation de l’exposition
Des figures pour juger, aménager, guerroyer, commémorer, décrire et célébrer : les causes de confection de ces premières cartes de l’espace français ont été multiples. Assez curieusement à nos yeux, elles n’ont pas été faites pour donner des informations de topographie générale ou d’itinéraire. Elles répondaient à des besoins pratiques et circonstanciés, dans le cadre de procès, de projets, d’aménagement, d’opérations militaires ou d’œuvres de célébration.
Les cartes présentées sont pour la plupart manuscrites ; elles n’ont ni échelle ni orientation au nord. Elles n’étaient pas appelées cartes mais figures ou portraits, et résultaient essentiellement de l’observation de lieux. Pour leurs utilisateurs, elles étaient de beaux objets, rares et couteux, auxquels on avait recours pour des besoins précis et parce qu’ils faisaient autorité. Quant aux auteurs, ils ont du inventer des modes de représentation graphique, en adaptant des traditions et des procédés connus mais aussi en faisant preuve d’authentiques innovations.
Un exemple assez étonnant est donné avec la figure du cours de l’Aa entre Wizernes et Saint-Omer (Pas-de-Calais) dessinée par Olivier Bissot et Pierre Pol en 1459 dans le cadre d’un litige entre la ville et l’abbaye de Clairmarais à propos de leurs droits de juridiction sur le fleuve. La noyade d’un enfant avait déclenché un procès entre les deux parties : pour l’information des juges, la figure le représente gisant dans la rivière à côté du moulin à eau.
Au Moyen Âge, l’espace français fut d’abord cartographié sur les mappemondes et des cartes marines et c’est seulement au 16e siècle qu’une cartographie spécifique du royaume se développa. Ce qui a laissé supposer que la France avait peu produit de cartes avant 1550. L’exposition nous montre quelques exemples de cartes globales, Paris, la France encore dénommée les Gaules, le pays d’Armorique appelé la Bretagne, le duché de Norma(n)die …
En revanche, la production de cartes locales et régionales était beaucoup plus importante, on en dénombre une centaine datées d’avant 1500 et plusieurs centaines entre 1500 et 1600. Dispersées dans de nombreux dépôts d’archives, elles ont été longtemps oubliées et cette exposition est une des premières occasions de les montrer.
La naissance de la cartographie française n’est donc pas le fait de géographes professionnels mais plutôt d’acteurs divers qui, dans le cadre de leurs activités, ont eu besoin de représentation figurée des territoires qu’ils devaient administrer.
Dans le cadre des procès judiciaire, le problème de la véracité de la représentation se posait avec acuité ; l’accord de figure était un moyen de le résoudre qui n’empêchait pas toujours les contestations. Car la figure accordée jouait un rôle essentiel dans la résolution du conflit. Parfois, sa construction permettait à une partie de l’emporter, comme à Castelferrus.
Dans la video ci-dessous (très intéressante), Gaël Lebreton, commissaire de l’exposition raconte comment le conflit insoluble entre Saint-Aignan et Castelferrus donne naissance à un paysage cartographique.
Le parcours nous fait découvrir d’autres exemples de figures accordées qui ont été dessinées lors des jugements de contentieux. Ci-dessous, quatre figures du couvent des Cordelières dans le quartier de Saint-Marcel à Paris entre 1538 et 1543 : le procès opposait le couvent et la célèbre famille de teinturiers des Gobelins au sujet d’une porte permettant d’accéder au moulin de Croulebarbe et qui était (trop ?) voisine du jardin des religieuses. Les 4 figures représentent les mêmes lieux vus avant et après les aménagements et avec des points de vue (dans tous les sens du terme) différents.
Encore de superbes documents …
Avant la sortie, un épilogue, sur le palier de l’escalier monumental, nous raconte la naissance de la cartographie mathématique qui s’appuiera non plus sur le talent d’observateur et de dessinateur des artistes mais sur les progrès de la géodésie (mesure de l’arc de méridien terrestre, forme de la terre) et des instruments de mesure (lunette de visée, sextant, horloge portative) ainsi que sur la mise en place d’institutions savantes et la professionnalisation des acteurs.
Heureusement, la qualité artistique des cartes produites ne sera pas totalement oubliée car les modes de représentation anciens continueront à inspirer les nouveaux cartographes.
Cet épilogue m’a rappelé mon récent article sur la naissance de l’hydrographie moderne avec Beautemps-Beaupré, qui a su, lui aussi, allier précision cartographique et expression artistique.
Comme l’exposition est bientôt terminée (6 janvier 2020), vous pouvez aller sur le site des Archives nationales pour avoir plus d’informations (au cas où mon article ne serait pas suffisant) :
3 commentaires
Matatoune · 31 décembre 2019 à 7 h 49 min
Chronique très complète. Merci pour ce partage ! Au plaisir de retrouver les présentations en 2020 !
micmac · 31 décembre 2019 à 8 h 38 min
Merci pour votre commentaire, je suis un passionné des cartes et cette exposition est vraiment originale dans son contenu. Bonne année 2020
Quand les artistes dessinaient les cartes - Périples et pérégrinations - DESSIN OU PEINTURE · 2 janvier 2020 à 8 h 00 min
[…] Source : Quand les artistes dessinaient les cartes – Périples et pérégrinations […]