À ma connaissance, personne ne l’a fait, je veux donc réparer cet oubli et commémorer les 200 ans de la naissance de Gustave Le Gray, maître photographe qui a largement influencé les débuts de la photographie dans les années 1850.
Né le 30 août 1820 dans une famille de commerçants aisés, il échappe à une carrière de notariat pour répondre à sa vocation de peintre. Il suit les cours de Paul Delaroche à l’école des Beaux-Arts de Paris. Mais en 1848, l’atelier ferme et Paul Delaroche se rend en Italie, où Gustave Le Gray le suit pendant quelques années.
Son talent de peintre n’a jamais été reconnu – il y a peu de traces de ses œuvres – et c’est dans la photographie naissante (on parlait encore d’héliographie) qu’il s’investit. À cette époque, il fallait compléter le volet artistique par des connaissances techniques pour maîtriser le matériel et la chimie de la révélation des images (il a mis au point un procédé de négatif sur papier ciré).
Ça marche tellement bien qu’il devient un “maître photographe” avec atelier, élèves, disciples, etc. Alors que nombre d’artistes et d’intellectuels dénigraient la photographie en refusant de lui reconnaître le moindre caractère artistique, Gustave Le Gray invente le langage photographique en développant une esthétique propre à ce qui deviendra un art à part entière.
En 1851, il fait partie des cinq photographes recrutés pour la Mission héliographique destinée à inventorier sous forme d’images le patrimoine historique national. Cette mission est un événement majeur de l’histoire de la photographie, non seulement en France mais dans le monde, car elle est la première commande publique de grande ampleur officialisant la photographie comme support d’une politique d’aménagement, en l’occurence l’ambitieuse politique de réhabilitation des monuments historiques.
Cette mission est l’occasion pour chaque photographe d’expérimenter à grande échelle (30 clichés par jour !) des procédés techniques en pleine évolution, tout en apportant sa propre esthétique sur ce qui ne devait être qu’un simple travail d’inventaire froid et objectif : travail sur la lumière, la composition, les détails, la précision …
Avec l’avènement du Second Empire, Gustave Le Gray devient le photographe officiel du régime. Il réalise des portraits de la famille impériale et répond à des commandes de propagande.
Pendant la décennie 1850 – 1860, il réalise ses œuvres les plus célèbres, des Marines de toute beauté dont il trouve l’inspiration sur les côtes bretonnes, normandes et méditerranéennes (l’image en exergue est une vue de l’entrée du port de Brest en 1858).
Pour contourner la difficulté technique à maîtriser les contre-jours lorsque les temps de pose sont encore longs, il utilise la technique des ciels rapportés, où il compose son image finale avec deux négatifs pris séparément, l’un du ciel, l’autre de la mer.
Il continue pendant cette période à photographier Paris et réalise également des vues de la forêt de Fontainebleau où il s’est réfugié pendant une épidémie de choléra.
Toutes les photos ci-dessus proviennent de Gallica. La suivante, elle, est mise en ligne par le site des bibilothèques spécialisée de la ville de Paris, qui n’autorise pas, dans ce cas, le téléchargement de la photo. Je ne sais pas pourquoi mais à la place on obtient un code d’incorporation. Je vous le délivre tel quel, avec les scories inévitables.
Et puis, 1860, c’est le début de la chute. Lâché par ses investisseurs qui s’impatientent de ne pas avoir de retours financiers (il gère mal son atelier), il se sauve de Paris, en accompagnant Alexandre Dumas lors d’un voyage que celui-ci rêve de faire en Orient. C’est un voyage sans retour pour Gustave.
Une des premières étapes les conduit à Palerme où Giuseppe Garibaldi vient de prendre la ville aux troupes siciliennes. Dumas rejoint les révolutionnaires et offre à Le Gray l’occasion d’illustrer les désastres provoqués par les bombardements de l’armée sicilienne. Les photos montrent une ville sans vie, devenue silencieuse.
Le voyage reprend mais à Malte, Alexandre Dumas, prétextant un désaccord avec ses compagnons de voyage, dont Le Gray, les abandonne sur place, sans ressources.
À partir de ce moment, Gustave Le Gray fait des petits boulots en Syrie pour le compte du Monde Illustré puis s’installe en Égypte, d’abord à Alexandrie, ensuite au Caire. Il poursuit son métier de photographe, mais il est petit à petit oublié en France. Il décède au Caire en 1884, sans doute dans un assez grand dénuement.
Il faudra attendre les dernières décennies du 20e siècle pour que son œuvre photographique soit redécouvert, grâce au travail des conservateurs, des collectionneurs et des chercheurs. Il réintègre ainsi progressivement la place qu’il occupe dans l’histoire de la photographie.
Pour en savoir plus
Gallica a publié un article de blog : Les photographies de Gustave Le Gray
Deux expositions ont été consacrées à Gustave Le Gray, on pourra trouver des informations très intéressantes :
- sur le site des expositions virtuelles de la BNF : Gustave Le Gray, exposition en 2002
- sur le site du Petit Palais : Modernisme ou Modernité, exposition en 2012 sur les photographes du cercle de Gustave Gray
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