Oui, je sais, c’est un peu nul comme titre, mais il faut bien trouver une accroche. Ceci dit, c’est assez pertinent, car je pensais me contenter d’une n-ième exposition sur Edgar Degas au musée d’Orsay et j’ai finalement aussi découvert deux personnalités intéressantes du monde de l’art ayant œuvré à la même époque que le peintre, entre la fin du 19e et le début du 20e.
Mes pas m’ont d’abord mené au musée de l’Orangerie en cette après-midi froide et humide, où une exposition est consacrée au critique d’art, collectionneur, directeur de galerie, directeur de revues, Félix Fénéon, accessoirement anarchiste et employé au ministère de la Guerre à ses débuts : Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse. C’est lui qui est peint par Paul Signac dans l’extrait de tableau en exergue de l’article.
L’exposition montrera les différentes facettes de ce personnage singulier, au physique de quaker et à l’humour pince-sans-rire, qui sut concilier carrière de fonctionnaire modèle, engagement artistique et convictions anarchistes. Chroniqueur, rédacteur à la Revue Blanche, critique d’art, éditeur – il publia Les Illuminations de Rimbaud -, galeriste, Fénéon fut également un collectionneur exceptionnel qui réunit un nombre important de chefs d’œuvre comprenant un ensemble unique de sculptures africaines et océaniennes. Soutien inconditionnel du néo-impressionnisme, découvreur de Seurat, directeur artistique de la galerie Bernheim-Jeune, défendant le fauvisme, le futurisme, Matisse, le rôle de Fénéon sur la scène artistique du début du XXe siècle fut déterminant.
Source : Musée de l’Orangerie
Des documents et des archives sont présentés pour comprendre sa personnalité et son parcours (d’anarchiste à artistique) ainsi que de nombreuses œuvres des artistes qu’il a soutenus : Paul Signac, Georges Seurat, Edgar Degas (encore lui), Pierre Bonnard, Modigliani, Henri Matisse, Félix Vallotton, etc.
Les trois tableaux de la galerie ci-dessous rappellent la première exposition à Paris des Futuristes italiens, organisée par Fénéon en 1912 à la galerie Bernheim-Jeune qu’il dirigeait. Ce mouvement d’avant-garde s’était constitué trois ans plus tôt autour du poète Filippo Tommaso Marinetti que Fénéon avait rencontré en 1899 dans les bureaux de La Revue blanche. Alors que ces artistes soulevaient l’indignation en Italie, il leur ouvre les portes de la galerie pour l’inauguration de ses nouveaux locaux de la rue Richepance. L’exposition fait scandale. Une bagarre éclate au cours de la conférence inaugurale donnée par Marinetti dans la galerie ! L’engagement de Fénéon en faveur des artistes novateurs et sa défense des arts non occidentaux font de lui un personnage-clé de la modernité.
Le musée de l’Orangerie est en travaux depuis le mois de septembre. Ne sont accessibles que, bien sûr, l’exposition temporaire de Félix Fénéon mais également les salles ovales abritant les Nympheas de Claude Monet et l’inévitable foutage de gueule indispensable à tout bon musée qui veut rester dans le vent. Ici, en l’occurrence, il s’agit de la série Cuillères de Patrick Tosani, constituée de photographies des ustensiles de cuisine susnommés prises dans différentes situations d’éclairage, venant en contrepoint aux Nymphéas voisines. Mais laissons le cartel expliquer tout cela :
La série « Cuillères » de Tosani offre des analogies avec l’espace dessiné par Monet pour accueillir son décor des Nymphéas, en particulier ce vestibule ovoïde. La question de l’échelle : le thème du reflet, la structure sérielle et enfin le rapport au motif dans l’acte photographique, offrent autant d’échos entre le travail de Tosani et celui du dernier Monet. Le photographe, à travers la forme simple de la cuillère, analyse le phénomène de la vision à l’instar de Monet fouillant le motif de l’eau de son étang : «Je fais une description très concrète de la chose car ce qui m’intéresse c’est sa portée métaphorique et visuelle. Visuellement on ne parle plus ni d’aliment ni de nourriture mais de lumière pure. Cet ovale capte, reçoit, attire, réceptionne la lumière et nous la renvoie, nous la transmet, nous la restitue comme un miroir diffus et réfléchissant». Le traitement monumental du thème induit un rapport d’immersion, d’absorption du regardeur qui évoque l’expérience in situ des Nymphéas : «L’observateur face à l’image, devait être contenu dans l’ovale de la cuillère : ceci en raison de la forme concave de l’objet, son aspect enveloppant, peut-être protecteur, sa brillance, sa réflexion. Le regardeur appréhende l’image avec son corps tout entier et se sent physiquement capté, happé par l’objet. »
Voilà voilà … c’est beau ! Bon, on se casse ?
Direction, le siège social, en l’occurrence le musée d’Orsay sur l’autre rive de la Seine. En parallèle à celle sur Degas, une seconde exposition propose de faire connaître comme critique d’art Joris-Karl Huysmans plus réputé comme écrivain et ami d’Émile Zola à la fin du 19e.
J’avoue que je ne connaissais pas Huysmans, ni comme écrivain, ni comme critique d’art jusqu’à ce que je découvre sur Gallica son texte consacré à la Bièvre, cette rivière affluente de la Seine qui fut transformée en égout à ciel ouvert par les nombreuses tanneries qui s’étaient établies sur ses rives. Pour Huysmans, elle était non seulement le réceptacle de la pollution industrielle naissante mais surtout le plus parfait symbole de la misère féminine exploitée par une grande ville. Nous sommes en plein naturalisme cher à Zola.
De Joris-Karl Huysmans (1848-1907), notre époque lit surtout À rebours et l’y enferme. Publié en 1884, ce portrait tragi-comique d’un esthète rompant avec un présent disgracié, et échouant à ne vivre que de sensations d’art, aussi rares qu’immorales, ne saurait tout résumer de son auteur et de ses combats. Sans négliger le romancier, c’est surtout du chroniqueur et critique dont il est ici question. Après des débuts discrets, à la fin du Second Empire, l’actualité artistique, à partir de 1876, le retient de plus en plus. Qu’il s’agisse du Salon officiel et de la peinture académique, ou des expositions des «artistes indépendants», de Bouguereau, de Manet ou des impressionnistes, il manifeste une virulence et une lucidité qui frappent ou scandalisent ses contemporains. Pourtant, ses livres, de L’Art moderne (1883) à Trois Primitifs (1905), en passant par Certains (1889), ne reflètent pas une pensée prescriptive, à visée unique, mais plutôt les nuances d’un homme réfractaire aux chapelles. En 1886, Huysmans déclare: «Au fond, je suis pour l’art du rêve autant que pour l’art de la réalité; et si j’ai lancé Raffaëlli en peinture, j’en ai fait autant pour son antipode, Odilon Redon.» Au manichéisme, il préférera les jouissances complémentaires, déroutantes, même au temps où la défense de l’art sacré le rapproche de l’Église.
Source : musée d’Orsay
L’exposition nous donne quelques exemples de critiques « lucides ». Comme La mort de Commode de Fernand Pelez, ci-dessous …
Ou bien La naissance de Vénus de William Bouguereau.
Le parcours proposé nous fait découvrir les positions esthétiques successives de Huysmans, l’écrivain naturaliste, le chantre ironique de l’esprit décadent et le converti tardif au catholicisme, parcours qui nous mène de Degas à Grünewald. De même que la Petite Danseuse de Degas fait écho pour lui au Christ hyperréaliste de la cathédrale de Burgos, la Crucifixion de Grünewald agrège à son réalisme la dimension surnaturelle propre à Odilon Redon ou Félicien Rops. Il est peu de grands écrivains qui aient été aussi impliqués dans ce vaste mouvement artistique de l’époque.
Ouf ! En voilà des nouvelles façons de voir les choses, même si parfois j’ai du mal à suivre les cheminements intellectuels proposés. Et encore, je ne vous ai pas montré les interventions de l’artiste italien Francesco Vezzoli qui émaillent l’exposition, des broderies de portraits qui pleurent des larmes noires. Je finis tout de même par son Jésus-Christ superstar, qui d’ailleurs clôture l’exposition (reproduction en trois exemplaires du panneau central du retable d’Issenheim, peint par Matthias Grünewald).
Heureusement que l’exposition consacrée à Degas à l’Opéra ne nous montre que des choses bien classiques qui ne nécessitent pas de se triturer les méninges outre-mesure : encore et toujours des petites danseuses ! Deux ans après Degas, Danse, Dessin qui avait déjà mis le maître à l’honneur dans les mêmes lieux (en compagnie de Paul Valéry signalons-le), il faut croire qu’il y a une forte demande pour le thème – étant donné l’affluence, ce doit être le cas – ou bien qu’on ne trouve pas suffisamment d’autres talents pour varier les accrochages – ce qui serait bien dommage.
J’exagère un peu, il n’y a pas que de petites danseuses dans les tableaux exposés, il y a aussi … euh … deux musiciens, un professeur de danse et un paysage.
La preuve en images.
Promis, juré, je shunte la prochaine exposition sur Edgar …
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