À la bibliothèque Forney, j’ai emprunté un livre passionnant des éditions Autrement, intitulé Artistes de la carte, dont l’objectif est de réhabiliter les cartographes, ces « oubliés de l’histoire », souvent anonymes, effacés derrière les marins, les explorateurs, les arpenteurs, les géographes, les astronomes, porteurs de l’information.

Un chapitre est consacré à l’élaboration des cartes marines, depuis les portulans du 15e siècle jusqu’à la naissance de l’hydrographie moderne au 19e. On imagine le cartographe de la Renaissance penché sur sa table de travail, dans le silence de son cabinet, faisant la synthèse des informations recueillies auprès des pilotes pour créer ses cartes.

Cependant, les grandes nations maritimes ont rapidement compris que pour assurer leur suprématie sur les mers et les terres à coloniser, elles devaient organiser la production des cartes marines et en contrôler la diffusion. Pour cela, petit à petit, l’artisan a laissé la place à l’ingénieur hydrographe pour aller vers plus de rigueur et de précision.

Le père de l’hydrographie moderne est un Français, Charles-François Beautemps-Beaupré, qui mit en œuvre une méthode rigoureuse de levers de l’ensemble des zones littorales de la Belgique à l’Espagne, s’appuyant sur une triangulation des zones côtières rattachée à la triangulation générale de la France et sur la mesure de la bathymétrie et le positionnement précis de chaque sonde.

Plus de vingt campagnes de relevés échelonnées de 1816 à 1838 ont abouti à la publication du Pilote français, monument historique de la cartographie maritime, composé de six atlas publiés en 1844.

Pilote français – Frontispice du premier volume, Environs de Brest – illustration : vue du goulet de Brest avec une rare représentation des ingénieurs hydrographes au travail.

Outre la précision des levers qui est une première dans l’histoire mondiale la cartographie maritime, le soin méticuleux apporté au dessin et à la gravure des cartes explique la longévité exceptionnelle de ces ouvrages : 44 cartes du Pilote français resteront au catalogue du SHOM (service hydrographique et océanographique de la Marine) jusqu’en 1969, époque à laquelle le positionnement par satellite les rendra (un peu) obsolètes. Elles auront bien entendu été mises à jour et corrigées mais leur base était toujours celle levée par les équipes de Beautemps-Beaupré.

En complément des cartes, on trouve dans ces atlas des images de la côte destinées à fournir aux pilotes les principaux repères nécessaires à la navigation. Un travail exceptionnel de précision.

Les images ci-dessus sont extraites du premier volume du Pilote français, consacré aux Environs de Brest.

Beautemps-Beaupré a participé de 1791 à 1794 à l’expédition d’Entrecasteaux destinée à retrouver les traces de l’expédition scientifique conduite par le célèbre navigateur et explorateur La Pérouse, dont on était sans nouvelles depuis trois ans (vous savez, celui dont Louis XVI a demandé des nouvelles au moment de quitter sa prison le jour de son exécution).

Beautemps-Beaupré profita de l’expédition pour réaliser les levés des côtes des pays visités et pour expérimenter de nouvelles méthodes. L’Atlas du voyage de Bruny d’Entrecasteaux publié en 1807 eut un très grand retentissement dans le monde de l’hydrographie (en cliquant sur l’image ci-dessous, on accède au PDF de cet atlas, mis en ligne par la Bibliothèque municipale de Toulouse.

Dans mes jeunes années, j’avais acheté une carte marine de la baie de Morlaix où j’ai passé quelques vacances. À l’époque, les cartes marines étaient encore très proches du rendu graphique du Pilote français. Voici une comparaison de la même zone, à gauche celle dessinée par Beautemps-Beaupré, à droite, celle de ma carte marine dans les années 60.

Depuis, les cartes marines ont bien évolué mais elles sont toujours héritières du Pilote français.

Plus besoin de papier, il n’y a plus d’atlas, les cartes sont maintenant numériques.

En honneur de Charles-François Beautemps-Beaupré, le SHOM a donné son nom à un navire hydrographique et océanographique de sa flotte, mis en service en 2003.


4 commentaires

Annie Rolland · 18 décembre 2019 à 23 h 02 min

Bonjour, Dans les années 50-60, mon père (Hydrographe) a navigué sur un aviso hydrographe qui portait aussi le nom de Beautemps-Beaupré!
Merci pour toutes ces précieuses informations que l’on trouve sur votre site

    micmac · 19 décembre 2019 à 9 h 13 min

    Bonjour, selon wikipedia, il s’agit sans doute de « l’ex-ravitailleur d’aviation Sans Souci, transformé à la Libération en escorteur, puis en aviso hydrographe (2 000 t, 95 m) (1946 à 1969) ».
    Merci pour votre soutien.

    Mérieux · 12 mai 2022 à 16 h 56 min

    Bonjour Madame, j’ai peut-être connu votre père à Madagascar à bord du Navire Aviso hydrographe « La Pérouse ». Il était second -Maître tandis que moi, Quartier-Maître Timonier certifié Hydrographe dans les années 59/61. Plus tard alors que j’étais civil je l’ai revu à bord du Navire « La Recherche  » au Havre . jmerieux@libertysurf.fr

    Mérieux Jean-Maurice · 10 septembre 2022 à 18 h 07 min

    Bonjour Madame, j’ai certainement connu votre père à bord du La Pérouse Navire hydrographe à Diego-Suarez (Madagascar), merci de me répondre car j’aimerais avoir de ses nouvelles. Salutations.

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