L’Atlas catalan est un célèbre portulan de la fin du 14ème siècle entré dans les collections du Roi de France Charles V. Il est attribué à Abraham Cresques, cartographe juif de Majorque, qui l’aurait réalisé entre 1375 et 1380. Il est conservé par la BNF et, pour les amateurs de cartes anciennes, il est accessible en ligne depuis 2011. J’ai eu le plaisir de le contempler lors de l’extraordinaire exposition de 2012 à la BNF sur le thème de « L’âge d’or des cartes marines, quand l’Europe découvrait le monde« .

La page consacrée à l’Atlas catalan sur Gallica propose des « informations détaillées » qui, si elles sont effectivement très détaillées, sont néanmoins assez peu lisibles. Sans doute un copier-coller sauvage qui a fait disparaître toute mise en forme.

Je ne recule donc devant aucun sacrifice pour vous proposer ci-dessous une version de la notice plus facile à lire, accompagnée des reproductions des feuilles de l’atlas. À l’origine, il y en avait six, pliées et collées sur des ais en bois, mais l’usure a fini par faire céder les pliures. L’Atlas se présente donc actuellement sous la forme de 12 feuilles séparées qui sont téléchageables en haute définition. Avec l’aide de ma conseillère technique, j’ai reconstitué les six doubles feuilles d’origine. En cliquant sur les images, elles s’ouvrent dans un nouvel onglet : n’oubliez pas de cliquer à nouveau pour obtenir l’image en plus grande définition.

À noter que le sens « normal » de lecture des cartes de l’atlas est le nord en bas et de gauche à droite, donc l’extrême-orient en premier et l’atlantique en dernier (c’est ce qui est expliqué plus bas dans la notice). Pour qu’on s’y retrouve mieux dans les cartes, je les ai présentées « à l’envers », le nord en haut. Plus on se dirige vers l’est, plus on s’éloigne des terres connues : si l’illustration de l’occident est œuvre de cartographe, les terres orientales basculent dans l’imaginaire et la légende …

Laissons la parole à Gallica.


Présentation de l’Atlas catalan

Entré dans la collection royale de Charles V en 1380 et attribué au Majorquin Abraham Cresques, l’Atlas catalan est à la fois une carte nautique avec rose des vents, lignes de rhumbs, et une représentation imagée des régions habitées du globe avec leurs particularités historiques, géographiques, commerciales, et leurs divisions politiques. Il est constitué de 6 feuilles de parchemin collées par moitié sur des supports de bois reliés entre eux. Les deux premières présentent les calendriers et le système du monde des savants du XIIe siècle. Les quatre autres feuilles donnent, à l’ouest, une carte-portulan assez classique, à l’échelle et fondée sur la science nautique de l’époque, tandis qu’ailleurs il s’agit d’un espace aux contours aléatoires avec des détails concrets qui lui donnent une apparence de réalité. Mais, à travers les légendes et les coutumes empruntées aux récits de voyageurs, par le relais des noms identifiables de villes des Indes et de la Chine, l’Atlas décrit, au-delà du monde occidental bien réel, les immenses régions de l’Orient dont est saisie toute l’importance économique. À travers les quelques routes qui s’esquissent, c’est le monde des épices, des soieries et des richesses décrit par Marco Polo et que, 117 ans plus tard, Christophe Colomb tentera d’atteindre par la route de l’ouest.


L’atlas est composé d’un calendrier et de divers schémas astronomiques, sur lesquels apparaît la date de 1375, et de cartes locales collées sur des ais de bois. Si l’on met bout à bout ces cartes, elles composent une vue d’ensemble du monde connu, à l’intérieur d’une bande qui s’étend en latitude des côtes de Scandinavie au sud du Sahara, et pour l’Asie, du nord de la mer Caspienne au sud de l’Inde et de la mer de Chine. Tout l’écoumène est représenté, depuis les bords orientaux du monde sur les premières pages, jusqu’aux îles Fortunées à l’Ouest, dans l’Océan Atlantique. C’est une œuvre à mi-chemin entre les cartes marines, sillonnées de leurs lignes de direction (ou lignes de rhumb), et les mappemondes. Une des premières figurations de rose des vents sur une carte marine apparaît dans cet atlas, au niveau de l’Océan Atlantique.

 

 L’orientation des cartes n’est pas courante : la lecture s’effectue le Nord en bas, et de gauche à droite, de l’Extrême-Orient à l’Atlantique, si bien que la lecture commence par le calendrier, accompagné d’une description cosmographique (empruntée à Honorius Augustodunensis), puis par une représentation de la fin du monde, au sens spatial et temporel : le bout oriental de l’écoumène mais aussi le « grand seigneur prince de Gog et Magog » et un personnage, désigné comme étant l’Antéchrist, dans un jardin, entouré d’hommes et de femmes, comme une représentation de Jugement Dernier .

Les caractéristiques cartographiques de l’Atlas catalan sont celles des cartes majorquines, déjà présentes dans la carte de Dulcert pour la partie occidentale. En revanche, la description de l’Asie est très innovante. L’intérieur des terres fourmille de détails ; personnages et animaux apparaissent plus nombreux dans les terres les moins bien connues à l’époque : l’Afrique subsaharienne et l’Extrême-Orient. L’espace géographique, couvert d’indications sur les peuples, la faune, la flore, les richesses, selon les informations fournies par les récits de voyage de l’époque, est aussi jalonné par des souvenirs de la Bible et des saints, et par des allusions à l’évangélisation.

L’iconographie de la carte est conforme à l’esprit des récits de voyage du XIIIe et du XIVe siècle : rapport de marchand, comme Le Devisement du Monde de Marco Polo, ou de missionnaire comme le livre d’Odéric de Pordenone, moine Franciscain qui se rendit à la cour du grand Khan vers 1300. Le premier décrit en détails les richesses des pays traversés, et le système administratif et économique ; les seconds prêtent attention aux souverainetés, aux traces de l’antique christianisme, dans le but de convertir les peuples rencontrés et d’en faire des alliés pour la chrétienté occidentale.Le peintre a aussi placé dans les mers de l’extrémité du monde les races monstrueuses traditionnelles de la géographie médiévale, inspirées de Pline et Solin : géants anthropophages, au visage noir, de l’île de Trapobane, et des sirènes empruntées à la fois à la tradition grecque et à la tradition médiévale nordique : « on trouve [dans la mer des îles de l’Inde] deux espèces d’un poisson qui s’appelle Sirène. L’une est moitié femme et moitié poisson, l’autre moitié femme et moitié oiseau ». C’est la première qui est le plus souvent représentée dans l’art du XIVe siècle, comme sur cette image, avec sa double queue de poisson dont elle tient les extrémités dans chacune de ses mains.

Les pauvres hères qui semblent ramasser les pierres, nous dit la notice, sont des hommes sauvages, vivant nus dans les îles et se nourrissant de poisson cru. On ne peut que voir ici une réminiscence des « Ichtyophages », hommes monstrueux que recensent les histoires naturelles depuis Pline et Solin, à la suite des Pygmées, des Blemmies et autres Sciapodes. L’Atlas catalan semble cependant rationaliser l’allusion à ces peuples exotiques en faisant d’eux des êtres frustres, mais plausibles. 

L’œuvre a été réalisé pour un roi chrétien, le roi de France, désireux d’avoir sous les yeux une représentation du monde richement décorée, et encore enrichie par le nombre d’anecdotes savantes et de références à des livres très à la mode dans les bibliothèques princières. La représentation du monde est d’emblée inscrite dans une histoire sacrée, à la façon des grandes mappemondes du XIIIe siècle. L’ordre chrétien du monde y est représenté, avec au début, son rappel cosmographique (le calendrier et son commentaire), et eschatologique (l’allusion à l’Apocalypse par les représentations du prince de Gog et Magog et d’un Jugement Dernier, où apparaît l’Antéchrist). L’Orient, le bout du monde, est en même temps le signe de sa fin temporelle. À l’opposé, la limite occidentale du monde connu se situe aux îles Fortunées (les bien réelles îles Canaries), qui sont désignées par la notice comme le lieu mythique du Paradis terrestre. Le cercle de la mappemonde, où début et fin, Orient et Occident, Paradis Terrestre et Jugement Dernier, finissent par se rejoindre. 

Malgré son découpage, malgré un sens de lecture linéaire, l’Atlas ne s’éloigne par du concept de sphéricité de la Terre . Le parcours sacré qui va du début à la fin des temps, est inscrit dans l’histoire et la géographie par les jalons des lieux bibliques, et leur relais oriental dans les implantations du christianisme. La diplomatie de l’époque, tout entière tournée vers le désir de prendre à revers les Musulmans qui monopolisent le commerce des épices, trouve plus ou moins conventionnellement sa justification dans cet ordre du monde. Sur la carte comme dans la réalité historique, l’Orient est terre de mission avant de s’ouvrir à la conquête commerciale. Il n’y a aucune contradiction à juxtaposer différents moments de l’histoire des pays et des peuples sur la même image. L’art médiéval, jusqu’à la fin du XV e siècle, pratique volontiers ce mode de fonctionnement. La carte est ainsi enrichie d’un savoir encyclopédique sur le monde


Feuille 1 : cosmographie

Schémas cosmographiques et texte relatif à la cosmographie, emprunté à l’Imago Mundi d’Honorius Augustodunensis (1ère moitié du XIIe s.). L’un des quadrants comportait une aiguille mobile, aujourd’hui disparue.


Feuille 2 : calendrier astronomique

Calendrier astronomique circulaire entouré par plusieurs textes ; quatre figures dans les angles tenant des banderoles. Fonds quadrillés rouges et bleus à motifs de fleurs de lys. La date de 1375 y apparaît à plusieurs reprises.


Feuille 3 : Méditerranée occidentale et côte Atlantique. Scandinavie, monts de Bohême. Corse et Sardaigne. Iles Britanniques, Tulé, îles de l’Atlantique (Canaries).


Feuille 4 : Proche-Orient et Méditerranée orientale, depuis la mer Noire, la Palestine, la mer Rouge, jusqu’à la Corse et la Sardaigne.


Feuille 5 : Asie depuis l’Inde jusqu’à la mer Caspienne, le golfe Persique, l’Arabie et la Mecque


Feuille 6 : Asie orientale depuis l’océan jusqu’à l’Inde. Figure du Jugement Dernier et du prince de Gog et Magog. Montagnes Caspiennes gardées par Alexandre le Grand. Chine : Catayo. Ile de Taprobane et Illa Jana, Inde.


Construction de l’atlas

Orientation : compte tenu de l’ordonnancement de l’atlas et des textes initiaux, toutes les cartes ont le sud en haut, bien que les cartes marines ne privilégient aucune orientation.

Échelle : la carte la plus occidentale comporte une échelle graduée en haut (en Afrique du Nord). Chaque division = 10 mm, cinq divisions = 51 mm.

Lignes des vents : un système par page, à 16 centres secondaires, centré sur la pliure. Diamètre = 47 cm (en hauteur) et 49 cm (en largeur). Les vents principaux sont en noir, les demi-vents en vert, les quarts de vents en rouge. Les figures ont été dessinées par-dessus ces lignes, mais les lignes vertes sont visibles sur la mer Rouge. Sur le dernier feuillet, une rose des vents à huit branches dans l’Atlantique. Elle n’est pas située sur une intersection de lignes. Elle comporte le nom des principaux vents : tramontana (nord), grego, levante (est), laxaloch, merzodi (sud), labetzo, ponente (ouest), magistro. Le nord est indiqué au bout de la branche correspondante par une étoile dorée, et l’est par un motif floral en rouge.

Nomenclature et décors :

Terres laissées en blanc. Tracé des côtes en noir. Le nom des pays ou des régions est en majuscules alternativement rouges et bleues.

Mers et lacs striés de vaguelettes bleues : océan Atlantique, mer Méditerranée, mer Baltique, mer Noire, golfe Persique, mer Caspienne, océan Indien.

Certaines mers portent un nom en lettres majuscules alternativement rouges et bleues : mare Miteretaina (sic), Ochaeanum. Îles colorées ; certaines sont dorées avec des arabesques rouges et des points bleus, oranges ou verts. L’Angleterre (Angiltera) est en violet. L’Irlande est en jaune pâle. Le Golfe de Galway est parsemé de points multicolores (îlots). Les petites îles sont en rouge, vert, ou bleu sombre. Bancs de sable et récifs : points rouges et croix.

Fleuves : traits ondulés du même bleu que les mers, prolongés à l’intérieur des terres et ramifiés. Le Danube comporte trois îles colorées.

Montagnes figurées par des chaînes d’écailles en brun. Les monts de l’Atlas en Afrique du Nord s’achèvent à l’est par trois pointes. La Scandinavie est comme encadrée de reliefs.

Les toponymes côtiers sont en minuscules noires ou rouges perpendiculaires à la côte.

Villes : vignettes urbaines représentant une enceinte circulaire avec une porte, et une ou plusieurs tours, parfois sur un monticule.

Les villes européennes comportent des clochers et toits pointus, les villes musulmanes ou orientales des tours à coupole ou à bulbe.

Pour l’Extrême-Orient, les noms de ville, collectés dans différentes sources semblent avoir été distribués au hasard :
– Au sud de Catayo, 3 baies circulaires sont associées à trois grands ports : Zayton (près de Changchow), Cansay (souvent Qinsay, moderne Hangchow) et Cincolam (Canton). Ce dernier port, non mentionné par Marco Polo, était connu par les navigateurs arabes.
– Certaines des îles devant Qinsay représenteraient l’archipel de Chasan, et plus au sud la large île de Hainan (Caynam). Sir Henry Yule, souligne que Kao-Li est le nom de la Corée, d’où il déduit qu’on aurait là une confuse notion de la péninsule de Corée.

Il n’y a aucune allusion, dans la carte, au Japon

Nombreux drapeaux variés.

Églises et monuments religieux :

le Saint-Sépulcre à Jérusalem, le monastère Sainte-Catherine du Sinaï. La Mecque.

L’arche de Noé, coincée entre les deux sommets du mont Ararat, au Sud-Ouest de la mer Caspienne (l’emplacement du mont, qui se trouve en réalité en Arménie, est assez curieuse).

La tour de Babel est représentée au sud de Bagdad, entre les deux fleuves.

Souverains et autres personnages.

Afrique : un berbère sur un chameau, le roi Noir Mussa Melly assis sur un trône, un Noir guidant un chameau, le roi d’Organa, un souverain en Nubie le Prêtre Jean ?), le sultan d’Egypte assis en tailleur (solda de babillonia) ;

Asie : un sultan en Turquie (TURCHIA), la reine de Saba, un pèlerin musulman priant à genoux devant la Mecque, le roi de Tabriz (Rey del Tauris ), un prince mongol au nord de la mer Caspienne (identifié avec Janï Beg, souverain de la Horde d’Or, mort en 1357 ), une caravane (hommes, chameaux, chevaux) allant vers l’est, les rois mages se dirigeant vers l’ouest, un personnage guidant un éléphant, le roi de Delhi (lo rey delli), le roi de Colombo en Inde (identifié avec le sultan de Vijayanagar ), le rey chabech, identifié avec Kebek Khan, qui régna entre 1309 et 1326, le roi Etienne (Steve) regardant vers Butifilis où aurait été enterré saint Thomas, des personnages entourant un vieil homme nu dans une sorte de baptistère, deux hommes près d’une montagne, un groupe d’hommes nus affrontant des grues, une reine sur l’île des Femmes, le roi de Taprobane, Holubeim, « le plus grand prince de tous les Tartares » (sans doute Kublai Khan, qui prit Marco Polo à son service), Alexandre, l’Antéchrist, Gog et Magog, pêcheurs de perles.

Navires : navire aragonais ( ?) au large de l’Afrique.

Tentes : en Afrique du nord-ouest.

Animaux : éléphants en Afrique et sur l’île de Taprobane, dromadaires en Afrique et en Asie, oiseaux verts le long du Nil, grues, « faucons et gerfauts », poissons, sirène.

Végétation : inexistante, sauf dans la représentation du Jugement Dernier et de Gog et Magog.

Légendes nombreuses, en minuscules noires.


Pour en voir plus :


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