Le musée du quai Branly propose actuellement une exposition très intéressante sur les Peintures des lointains, qui met en lumière les peintures conservées par le musée et rarement montrées. Cet intitulé, Peintures des lointains, est joliment complété dans la brochure de présentation qui explique que cette collection raconte l’histoire de la rencontre de l’Autre et de l’Ailleurs tout autant que l’évolution du regard artistique face à l’inconnu.

Marie Caire Tonoir – Tête de femme de Biskra – 1899-1900

La preuve en images.

Ces œuvres, héritées de la période coloniale, ne sont pas exposées habituellement dans les collections permanentes, sans doute par pudeur ou par crainte de faire l’apologie de cette page d’histoire pas très glorieuse. Elles sont, en effet, pour la plupart signées par des artistes occidentaux et couvrent la période allant de la fin du 18ème au milieu du 20ème siècle, en plein expansionnisme colonial européen. Dans un musée consacré aux arts premiers, ça peut faire désordre et ne présenter qu’un lointain rapport avec le thème du musée.

Mais ce qui est montré ici est surtout un beau témoignage sur « nos » artistes de cette époque et sur la manière dont ils ont vu, compris et transmis cet inconnu qui s’ouvrait à eux.

Il y a d’abord les paysages.

Puis les scènes de vie, parmi lesquelles les  caravanes occupent une place importante.

Ensuite les portraits dont certains sont magnifiques.

Enfin, il ne faut pas ignorer la communication officielle de l’époque qui voulait mettre en valeur nos armes glorieuses, montrer les « bienfaits » mutuels de la colonisation, les productions locales contre les « apports de la civilisation » ou honorer nos vaillants colonisateurs. On occulte bien entendu dans tout cela les exactions à l’encontre des populations indigènes …

Je terminerai par ce portrait qui me paraît le plus étrange, celui du docteur Sainte-Rose, dont on ne sait pas trop bien quel sens lui donner.

Musée du quai Branly – Peintures des lointains – Madeleine Luka – Le docteur Sainte-Rose – 1946-1953

Le cartel précise : L’œuvre de Madeleine Luka, souvent qualifiée de naïve, se décompose en grandes périodes stylistiques. En 1949, l’artiste retrouve la maison de son arrière-grand-père, un médecin nommé Suquet Sainte Rose qui a exercé aux Antilles. Madeleine Luka consacre alors une série de toiles à son histoire familiale. Ce tableau appartenant à sa « période des Ancêtres» est exposé en 1955 au Salon des Indépendants. L’artiste complète sa toile avec l’inscription suivante : «L’inoubliable énergie du docteur Sainte-Rose devant les furieux assauts des deux redoutables épidémies lui valent des indigènes le sobriquet du Dr Bronze et aussi leur reconnaissance ». Toile énigmatique, cette représentation sarcastique fut présentée en 1957 dans la section sanitaire du Musée de la France d’Outremer. Image des progrès de la médecine, elle défendait ainsi l’argument civilisationnel.

Comprenne qui pourra. Est-ce un hommage ou une moquerie ? Nous étions dans les années 50, la décolonisation était en vue, à l’issue de la seconde guerre mondiale qui avait profondément changé le regard des peuples « civilisés » sur le reste du monde (et inversement). L’argument civilisationnel justifiant la colonisation devait, à mon avis, avoir un coup dans l’aile …

Cette toile peut finalement servir de conclusion à cette exposition qui nous donne à réfléchir sur notre histoire pas si lointaine.

Le choix des deux indiens en pirogue pour l’affiche de l’exposition me paraît saugrenue et ce n’est bien entendu pas la qualité de l’œuvre que je critique. Mais une telle représentation que l’on pourrait au mieux qualifier de romantique ou au pire d’insultante ne me semble pas digne d’incarner la rencontre avec l’Autre et l’Ailleurs.

Pour en voir plus, ma galerie photos : Peintures des Lointains

Catégories : Artexposition

0 commentaire

Laisser un commentaire