Aujourd’hui, Émilie du Châtelet aurait eu 311 ans.

Pourquoi célébrer les 311 ans d’une personne qui a depuis longtemps disparu ? Pour honorer sa mémoire bien sûr et puis pourquoi pas ?

Voltaire a été son grand ami, et même bien plus. À sa disparition, il écrivit à son sujet  J’ai perdu un ami de vingt-cinq années, un grand homme qui n’avait de défaut que d’être femme, et que tout Paris regrette et honore.

Portrait de Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet – Marianne Loir (1715 – 1769) – Musée des beaux-arts de Bordeaux

Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, a été la première grande intellectuelle française. Au 18ème siècle, sous le règne de Louis XV, elle a participé aux recherches de pointe en mathématiques, en physique, en philosophie. Elle mérite intérêt, curiosité, admiration.

Wikipedia la présente ainsi : née à Paris le 17 décembre 1706 et morte à Lunéville en Lorraine le 10 septembre 1749, mathématicienne, femme de lettres et physicienne française, elle est renommée pour la traduction en français des Principia Mathematica de Newton qui fait encore autorité aujourd’hui. Elle-même expérimentatrice, elle a contribué non seulement à populariser en France l’œuvre du physicien Leibniz, mais a aussi démontré par l’expérience que l’énergie cinétique (appelée à l’époque « force vive »), était bien proportionnelle, comme il l’avait formulé, à la masse et au carré de la vitesse. 

La publication du livre de Newton, Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, est une révolution pour l’époque et constitue certainement un des plus importants livres de physique jamais écrits. Cet ouvrage, qui veut appliquer « les lois mathématiques à l’étude des phénomènes naturels », établit la base de la mécanique newtonienne ainsi que la loi universelle de la gravitation. Excusez du peu !

Mais quel est l’apport d’Émilie dans ce que l’on pourrait considérer comme une simple traduction ? En fait, Newton a écrit son livre dans un latin assez complexe, à une époque où les outils d’analyse mathématique étaient en pleine évolution et où cette langue « morte » n’était pas particulièrement adaptée à la transmission d’un nouveau savoir. Son travail a donc été considérable, elle s’est même autorisée à corriger certaines erreurs et émettre quelques commentaires (elle était comme ça, Émilie, il ne fallait pas lui marcher sur les pieds !)

Tant et si bien que sa traduction en français fait encore référence aujourd’hui. On peut bien sûr en trouver les différents tomes en ligne, notamment sur Gallica :

Le tome 1 (Livres 1 et 2) est ici, le tome 2 (Livre 3 et annexes) est là. Le troisième livre intitulé « du système du monde », celui qui se consacre à la gravité et tout ce genre de choses, se trouve au début du tome 2, et à la fin de celui-ci, Émilie a rajouté quelques compléments qu’elle estimait nécessaires. Un vrai travail de vulgarisation, je vous dis !

Émilie faisait partie de la haute noblesse, aussi bien par sa naissance que par son mariage, elle a donc bénéficié d’une aisance matérielle toute sa vie et, mine de rien, ça aide dans la vie de tous les jours. De plus, son père, esprit éclairé, l’a toujours encouragée et aidée dans la voie des études, Voltaire plus tard fera de même. Il semble qu’elle ait été critiquée et jalousée toute sa vie, parce qu’elle était ambitieuse, qu’elle avait un sale caractère, qu’elle disait ce qu’elle pensait, qu’elle faisait ce qu’elle voulait (ce fut une grande amoureuse, elle en perdra la vie). On lui reprochait son orgueil et même sa laideur !

Elle est morte prématurément à 43 ans à la suite d’un accouchement difficile. Cela n’empêcha pas un chansonnier de l’époque, triste sire et jaloux de Voltaire, de cracher son venin :  Il faut espérer que c’est là le dernier air que Madame du Châtelet se donnera ; mourir en couche à son âge, c’est décidément prétendre ne rien faire comme les autres…

Cependant, bon nombre de ses contemporains voyaient en elle une vraie femme des Lumières. De nos jours, ce sentiment d’admiration est unanime et l’on voit en elle plus que la maîtresse d’un « grand homme », une vraie philosophe doublée d’une grande scientifique. Ce qui m’intéresse particulièrement dans son travail, c’est sa volonté de transmettre  le savoir des anciens pour le rendre accessible à un large public, tout en poursuivant ses propres recherches.

C’est en fait à Élisabeth Badinter que l’on doit la « réhabilitation » récente d’Émilie grâce à son essai sur l’ambition féminine au 18ème siècle (Élisabeth BADINTER, Mme du Châtelet, Mme d’Épinay ou l’ambition féminine au XVIIIe siècle, Paris, Flammarion, 2006, 494 p., ISBN 9-782082-105637) et à l’organisation d’une exposition en 2006 à la BNF (le catalogue de l’exposition, très complet, est téléchargeable). Dans la foulée, un téléfilm a été tourné : Divine Émilie.

Comme héritage de sa personnalité, l’Institut Émilie du Châtelet « pour le développement et la diffusion des recherches sur les femmes, le sexe et le genre » est le premier centre de recherches français voué aux problématiques des études portant sur le genre.

Voila pourquoi je voulais lui rendre hommage sans attendre son 350ème ou 400ème anniversaire. Et pour parler d’elle sans trop parler de lui …

 

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